Nous étions nombreux à nous presser devant les salles de cinéma à la fin de l'année 1975 quand est sorti sur les écrans Les trois jours du Condor de Sydney Pollack. Un film sur la CIA, mettant en scène les agissements sournois de cette agence de renseignement nord-américaine qui ne se contentait pas de se renseigner, mais complotait un peu partout dans le monde. A peine trois ans auparavant, elle avait agi dans l'ombre pour destabiliser le gouvernement de l'Unité Populaire du président chilien Salvador Allende et favoriser le coup d'Etat du sinistre Pinochet.
Joseph Turner alias le Condor est un agent de la CIA. Il n'a rien d'un James Bond bardé de gadgets et de jolies pépés qui tombent dans ses bras dès qu'il les ouvre ou qui sont délicieusement fatales et prêtes à lui faire les pires misères. JosephTurner/Robert Redford est un homme de bureau muni d'un crayon pour noter et annoter, il passe ses journées à lire tout ce qui s'est écrit, du livre érudit au roman d'espionnage pour y détecter des fuites éventuelles qui seraient parvenues aux oreilles d'un romancier ou simplement pour relever des scénarii jaillis de leur imagination féconde et susceptibles d'intéresser ses employeurs. Open source qu'ils disent : inutile de soudoyer, de séduire ou de menacer, il suffit de glaner le renseignement.
Ses collègues et lui-même sont installés dans un petit immeuble en tout point identique aux immeubles voisins et ressemblant davantage aux bureaux d'une maison d'édition qu'à l'antre d'un groupe d'agents secrets armés jusqu'aux dents. Pendant la pause déjeuner, Turner s'éclipse discrètement par une porte dérobée et se rend dans un fast food voisin pour ramener de quoi se sustenter. Quand il revient, tous ses collègues sont morts, de mort violente, abattus avec des armes à feu. Vous imaginez sans mal le regard aux aguets et le qui vive qu'incarne si bien Robert Redford quand il se sent menacé... enfin quand l'agent Turner se sent menacé !
Joseph Turner quitte les lieux précipitamment et donne l'alerte selon un code convenu mais rien ne se déroule comme prévu par la procédure. Il se sait désormais menacé et traqué par des tueurs. Il lui faut une planque pour réfléchir sereinement et mettre de l'ordre dans ses idées. Faye Dunavay lui offre gîte et couvert à...son corps défendant, puis avec un consentement ravi et bien compréhensible (c'est qu'il était beau gosse Robert, et comme nous l'avons constaté à la 45 ème cérémonie des Césars de cette année, il y a de beaux restes).
Très vite Turner devine que la menace vient de l'intérieur même de la CIA et considérant que la meilleure défense est l'attaque, il démonte l'écheveau pour remonter à la source même de l'opération de nettoyage. L'enquête et sa mise en scène sont un modèle cinématographique du genre et ce n'est pas sans raison que le scénario de ce film de Sydney Pollack est devenu un des documents de travail dans les écoles de cinéma.
Les 3 jours du Condor est un thriller politique d'une grande intensité, il est inspiré du roman du même nom de James Grady. Nous sommes au lendemain du scandale du Watergate, au surlendemain des évènements du Chili, la confiance dans les services secrets et dans les appareils d'Etat est sérieusement entamée ; c'est une raison suffisante pour donner une dimension plus politique au roman.
Pendant toute la durée de son enquête, Turner doit ruser car les commanditaires de toute l'opération ont fait venir d'Europe un tueur professionnel de haut vol. Joubert/ Max von Sydow est sur ses talons en permanence et son professionnalisme est régulièrement déjoué avec autant de professionnalisme par un Joseph Turner/ Robert Redford. Deux actions aussi intenses l'une que l'autre sans qu'aucune ne prenne le pas sur l'autre. Du cinéma de talent, du Sydney Pollack.
Turner démasque Atwood, hiérarque de l'agence, par qui le scandale est arrivé et un double face à face clôture le film. Celui de Turner et de Higgins, son patron direct, ils se quittent devant le siège du New York Times. Et celui de Turner et de Joubert, que je vous laisse découvrir même si je meurs d'envie de vous raconter l'entrevue. Certains jours, je sais me retenir, profitez -en, cela ne durera certainement pas.