Librement inspiré du comic book "Old Man Logan", ce nouveau film consacré au Mutant le plus charismatique de l'univers X-Men est un chemin de croix. Il en reprend l'intéressante idée d'un Wolverine usé, désabusé, touché dans sa chair, ses os et son âme par des maux sur lesquels il n'a aucune prise. Une sorte de "dead man walking", un cadavre en devenir qui marche encore, mais avec peine. Il place également son action dans le futur, mais se détache sur ce point de la BD. Il n'est point question ici d'un monde aux mains d'une coalition de super-vilains, mais au contraire d'un contexte dans lequel (presque) tous les Mutants ont disparu, et où la mutation génétique elle-même a été quasiment éradiquée, plus aucune naissance d'enfants dotés de pouvoirs ne semblant s'être produite depuis de longues années.


Logan a vieilli, tout comme l'impeccable Hugh Jackman, qui lui prête pour la neuvième et dernière fois son corps sans la moindre retenue. L'âge, la fatigue, la résignation, transpirent par tous les pores de sa peau alors qu'il en est réduit à vivre une vie terriblement médiocre et routinière. Tapie au fond de lui, la bête ne veut plus sortir et n'aspire qu'au repos et à l'oubli. Elle ne se manifeste encore qu'en cas d'extrême urgence, et avec une brutalité aussi impitoyable que fugitive. Si quelques-uns se souviennent encore du héros qu'a été le Cerval (même si la traduction française de son nom de X-Man n'est pas fidèle, ça sonne quand-même bien mieux que "le Glouton"!), les quelques très rares Mutants qui vivent encore n'ont pas d'autre choix que de le faire dans la clandestinité car ils sont de nouveau considérés comme représentant un danger trop énorme pour être toléré, et sont donc pourchassés en vue d'une suppression définitive.


Autre survivant de l'extinction quasi totale des Mutants, Charles Xavier n'a plus rien d'un professeur, et n'est plus que l'ombre de lui-même. Affligé d'une maladie dégénérative, il représente le dernier et fragile lien de Logan avec l'existence, celui-ci ne pouvant se résoudre, après avoir perdu tous ceux qu'il avait commis l'imprudence d'aimer, à abandonner celui qui lui avait montré qu'il pouvait être bien plus que la simple bête destructrice que des expérimentations criminelles avaient fait de lui. Alors il bosse, pour essayer de réunir l'argent nécessaire afin d' emmener son dernier ami loin du monde, et prendre soin de lui jusqu'à ce qu'il finisse aussi par mourir...


Mais le destin n'en a pas fini avec celui qui fut l'Arme X, et vient lui taper sur l'épaule en prenant la forme d'une petite fille muette, Laura (magnifiquement jouée par la jeune Dafne Keen), qui est pourchassée par une obscure organisation paramilitaire car elle semble elle-même représenter un terrible danger. Le moyen pour Logan, s'il la mène vers un lieu secret où elle est censée être à l'abri de ses poursuivants, de gagner les quelques dizaines de milliers de dollars dont il a besoin pour activer son plan et disparaître avec Xavier.
Malheureusement, ce ne sera pas si simple, et Donald Pierce, un inquiétant homme augmenté par l'implantation d'un avant-bras cybernétique, prévient l'ancien héros démoli que, même s'il est "fan" de ce qu'il a été et le respecte, il n'hésitera pas à précipiter sa déchéance en le supprimant s'il aide la gamine au lieu de la livrer.


Logan, qui semble n'avoir plus la moindre fierté, ni la volonté ou même les moyens de redevenir un héros, ne veut rien avoir à faire avec cette histoire, et n'a aucun scrupule à abandonner la petite. Mais elle ne l'entend pas de cette oreille, et force, en mettant Pierce sur leur piste, Wolverine et Xavier à fuir prématurément leur planque et à chercher le refuge où elle doit se rendre! Commence alors un road-movie crépusculaire durant lequel chacun des trois fugitifs devra affronter les démons de son passé.


James Mangold signe avec "Logan" un "film de super-héros" pour le moins atypique dans sa forme et son esthétique. Loin, très loin de la franchise "Avengers" par exemple, il place ses personnages dans une uchronie qui, si elle conserve l'élément fantastique de la mutation qui produit des individus dotés de super-pouvoirs, n'en est pas pour autant si éloignée du monde dans lequel nous vivions. Ici, point de projections holographiques, d'images projetées sur des plaques de verre transparentes, de navires de guerre volants, ou d'affrontements dantesques entre des entités semi-divines aux proportions si cataclysmiques qu'elles pourraient détruire la planète entière! On évolue au contraire au coeur d'une Amérique profonde où, si certains éléments à l'évidence futuristes sont présents, les environnements sont familiers et réalistes, et la technologie crédible dans un avenir pas si lointain.
De même, le rythme du métrage est très différent de ce que ce genre cinématographique nous propose en général. Sans précipitation, il prend le temps nécessaire, toujours à bon escient, pour servir le propos et ce que vivent ses personnages, d'installer ses ambiances et ses situations dans des séquences à la réalisation sobre et inspirée.
Mais il n'en néglige pas l'action pour autant, bien au contraire! Les scènes de combats sont nerveuses, brutales, graphiquement violentes, faisant enfin, grâce à une classification "Rated R" (interdit aux USA aux moins de 17 ans non-accompagnés), la part belle à la sauvagerie bestiale du Wolverine et à la dérangeante frénésie destructrice de la petite Laura qu'on aurait pourtant eu du mal à imaginer si sanguinaire. On lui aurait "donné le Bon Dieu sans confession", à la gamine, et on aurait eu bien tort!!!


Mais le fond, le coeur de "Logan", c'est le voyage intérieur de ses trois personnages, matérialisé métaphoriquement par le format "road-movie" adopté par Mangold. Alors qu'ils sont physiquement traqués par une organisation machiavélique qui n'hésite pas à retourner leurs propres pouvoirs contre eux, leurs âmes et leurs consciences sont quant-à-elles pourchassées par les démons de leurs passés respectifs et de ce qui fait d'eux ce qu'ils sont, qui les torturent sans relâche.
A cet égard, l'interprétation de Charles Xavier par Patrick Stewart dans ce qui sera aussi sa dernière apparition dans le rôle, est un sommet absolu pour le personnage qui est paradoxalement à son point le plus bas. L'acteur shakespearien lui offre ainsi, en faisant de sa déchéance mentale l'épisode le plus douloureusement émouvant de son histoire personnelle, une dimension supplémentaire.
Quant-à Hugh Jackman, s'il a depuis plus de 15 ans incarné à la perfection l'ombrageux Wolverine au point qu'il semble quasiment impossible d'imaginer un autre acteur dans le rôle, cet ultime volet de son histoire lui permet d'aller encore plus loin dans l'exploration de son caractère et de son âme solitaire. Physiquement hyper impressionnant pour son âge (déjà 48 ans!), il est toujours à la hauteur de l'incroyable aura de puissance physique de Wolverine, mais il y introduit également une fragilité, une fatigue extrême, un découragement tels qu'on ne les avait encore jamais vus chez lui, et qui font mal même aux spectateurs! Qu'il est douloureux (et génial à la fois!) de le voir si affaibli, malade, pathétique, alors qu'on a toujours eu l'habitude de le voir pour ainsi dire invulnérable, narguant la mort avec une ironie et une classe jubilatoires! Comme on partage sa terrible détresse face à l'impitoyable destin qui lui arrache tout ce qu'il a aimé, et sa rage face à son impuissance. On enrage vraiment avec lui, on supporte mal sa douleur manifeste, et même lorsque la bête fait violemment surface et qu'on espère qu'elle va enfin tout casser et reprendre la place de dernier rempart qui est la sienne, on sent les terribles efforts nécessaires pour y arriver, et on voit ce que ça lui coûte encore...
En ce qui concerne la petite Laura, le choix au casting de Dafne Keen est juste parfait. Elle est en effet à la fois solaire et inquiétante, assumant parfaitement tout le paradoxe du personnage et lui offrant une interprétation subtile, impressionnante et émouvante à la fois!


Alors certes, puisqu'il faut rester objectif, "Logan" n'est pas exempt de quelques défauts et maladresses. Ainsi, son "bad guy", ou plutôt ses "bad guys" manquent un peu d'aura... Il y a aussi quelques raccourcis ou facilités scénaristiques ainsi qu'un côté un peu prévisible dans certains rebondissements... Mais ces défauts sont très vite pardonnés car ils n'altèrent en rien le fond du sujet, les trajectoires fascinantes et poignantes de ces personnages, et l'examen de ce qui peut ou non les relier encore les uns aux autres, et au monde qui semble ne plus vouloir d'eux à part sous forme de souvenir dans les vestiges pop de ce qu'ils ont été. A l'image de Clint Eastwood en vieux cowboy fatigué dans le génial "Impitoyable" où il déconstruisait le mythe du justicier du far-west.


En conclusion, "Logan" est la parfaite ultime révérence de Wolverine incarné par Hugh Jackman, et sans doute l'un des meilleurs films issus de comic books de super-héros sortis à ce jour. Un "must" à voir en salles absolument!!!

CharlesLasry
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le 6 mars 2017

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