Naissance et mort d'une tentative de cinéphilie

Je dois bien l'admettre : j'ai jamais été un grand fan de cinéma. Depuis tout petit j'ai toujours esquivé les films du dimanche soir, et les rares films que j'ai vu peuvent pour la plupart dire merci au programme Collège au cinéma. Et puis bon, pour moi la musique c'était forcément mieux, un film c'était trop long, 24 images par seconde c'était trop, bref j'avais à peu près trouvé toutes les excuses possibles et imaginables. Ensuite, j'ai vu Love Exposure.


Pourtant, j'y allais un peu avec des pieds de plomb. En 4h, j'aurais pu écouter une grande partie de Kesto (234.48:4) de Pan Sonic, la moitié d'une oeuvre pour piano de La Monte Young, ou même toute la discographie de n'importe quel groupe de grindcore polonais. Mais bon, poussé par les railleries amicales fréquentes de Panenka (qui m'a même consacré une liste), je me suis dit que j'allais me motiver pour enfin voir ce truc, tant pis pour mon après-midi.


Et en fait, c'est génial. Certes Love Exposure ressemble un peu en matière de wtf au meilleur du pire du youtube japonais, parce qu'il combine un paquet de trucs improbables qui ne sont acceptables à peu près qu'au Japon. Un espèce de clan ninja adepte du voyeurisme ? Check. Un pénis en érection que l'on coupe à l'aide de ciseaux ? Check. Des petites culottes par milliers ? Check. Encore des plans sur des érections ? Pas de souci. Le meilleur passage de ce point de vue là reste la scène du confessionnal de la perversité lors du spectacle des pervers de l'entreprise "Bukkake-sha". Le pays du Soleil Levant, on t'as dit.


Mais là où Love Exposure n'est pas juste une version japonaise du zap de Spion (ou de Vidéogag pour les plus âgés), c'est probablement dans la façon dont on arrive à cumuler et agencer tout ça pour en faire quelque chose d'à peu près cohérent, en tirant partie des 4h du film. Pour te parler de choses que je connais un peu mieux (de musique quoi), c'est exactement comme si Merzbow, Death Grips, Animal Collective et Aphex Twin collaboraient pour un album. Love Exposure c'est ça, mais en film.


Et puis surtout, il y a cette histoire d'amour. D'habitude, je trouve que parler d'amour et être intéressant et sincère est un des exercices les plus difficiles, que ce soit dans la musique ou le cinéma : regardez toutes les mauvais(e)s chansons/films sur l'amour que l'on produit par an de façon industrielle. Mais là, malgré ou plutôt justement grâce à cet aspect déjanté, l'authenticité du sentiment arrive à prendre le dessus, comme s'il fallait ces 4h de wtf pour que tu t'attaches en profondeur aux personnages et à leurs quêtes. Au diable la subtilité, on parle d'amour adolescent, qui ne peut se comprendre que par cet enchevêtrement de moments singuliers, ce patchwork de personnages hors du commun et d'événements incongrus, qui apportent vraiment cet aspect très attachant à ce couple qui ne peut se réunir jusqu'à la scène de fin.


Et malgré le fait que j'ai déjà écrit au moins 2500 caractères, je me rend compte que je suis incapable de t'expliquer pourquoi j'ai tant adoré ce film. Désolé. Comme si c'était impossible à raconter et qu'il fallait le vivre, ou comme le disait Montaigne "parce que c'était lui, parce que c'était moi", et que ce sentiment est impossible à transmettre. En tout cas, une chose est sure, c'est le film qui m'a le plus marqué. Le gros problème maintenant que je suis prêt à en voir des tas d'autres et à me faire une vraie culture cinématographique, c'est que tout me semble fade et inintéressant. Un peu comme si j'avais rencontré ma Maria et eu une vraie érection cinéphile, si tant est que ce genre de choses existe. Et ça m'émeut limite plus que la scène de fin, c'est dire.

Gweilo
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le 24 mai 2015

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