Tous mes profs de littérature me l'ont dit, répété, seriné jusqu'à plus soif : pour analyser correctement (et juger de sa valeur) une oeuvre, il faut RE-CON-TEX-TU-A-LI-SER. Se remettre dans le climat culturel/politique/social de l'époque, même si on est trop jeune pour avoir connu les "grandes heures" des 80s. Pas grave ceci dit, vu que cette bonne télévision, toujours soucieuse d'éduquer la jeunesse, ne manque jamais une bonne occasion de montrer à quel point c'était mieux, avant. Mais je m'égare.


Alors on lance le film et on se prépare à s'immerger dans une esthétique pas toujours très heureuse, à base de cuir et de sortes d'armures en plastique blanc qui doivent provenir du même fabricant que celle des Stormtroopers. Et on se dit que finalement, y a des avantages à avoir usé ses mains sur des manettes, parce que toutes ces choses-là, ces tenues de bric et de broc, ces véhicules sortis du garage d'un fou furieux, eh ben on les a déjà vues, ailleurs, dans un autre Wasteland, un autre désert. Comme quoi... Non, tout ça ne choque pas (reconnaissons tout de même que les costumes du semi-boss et du boss lui même sont assez improbables. Remarquez, ça doit être pratique, le trou dans le pantalon au niveau du fondement). Ce qui est un peu plus perturbant, c'est de retrouver un Mel Gibson jeune et plutôt beau gosse qui nous ferait presque douter de notre sexualité, tellement il pète de classe en guerrier errant. Mais ça aussi, on s'y habitue.


Le scénario du film tient sur un grain de riz, et c'est tout à fait normal étant donné que dans ce monde-là, rien n'a de sens, et rien n'est immuable. Tout est subordonné à une nécessité extrêmement simple, basique, presque primitive : survivre. Même l'idée de communauté, de groupe ne veut plus rien dire, les individus se rassemblant au gré des coups de sort pour mieux quitter le navire quand les choses tournent au vinaigre. C'est l'une des choses, d'ailleurs, que partagent les flibustiers du vil (et un brin sado-masochiste vu son accoutrement) Umungus et la petite communauté de la raffinerie. Qu'un danger apparaisse à l'horizon où qu'un grain de sable vienne enrayer la marche du cannibalisme post-apocalyptique, voila la communauté, le groupe, prêt à voler en éclats.
Au fond, peu de choses séparent vraiment ces deux factions. Comme le dit Umungus "Personne n'est pur dans ce conflit", et rien ne nous dit que les "gentils" de la raffinerie n'ont pas eux-aussi leur part de crimes sur la conscience. Le contraire serait même surprenant : le futur que nous donne à voir Miller est trop dur, trop sombre, trop vrai d'une certaine façon, pour que la morale puisse être préservée par quelqu'un. D'ailleurs, ces braves couillons n'hésiteront pas à faire preuve de roublardise le moment venu pour être certains de sauver leurs peaux, quitte à envoyer un homme à la mort. Non, la morale n'existe pas dans ce monde, pas parce qu'elle a été détruite, mais parce qu'elle n'a peut-être jamais vraiment existé. Alors bien sur, ça n'empêche pas les protégés de Papa Gallo (Galaud ? Galo ?) d'être plus recommandables que les pillards à crête, ne serait-ce que pour la sauvegarde du bon goût, ou ce qu'il en reste...


Au milieu de ce chaos, de cette folie qui contamine tout ce qui la côtoie, Max lui a fait le choix, peut-être un peu par défaut, de tailler sa route seul, sans s'encombrer d'un quelconque être sur lequel veillé, hormis son chien. Un choix judicieux de prime abord (dans un monde où la sainte trinité essence/nourriture/munitions est la seule chose qui vraiment une assurance de survivre au moins un jour de plus, pourquoi s'encombrer d'un éventuel associé qui pourrait vous planter un couteau dans le dos à la moindre occasion ?), mais qui révèlera ses limites pour deux raisons. La première, la plus évidente, est qu'il arrivera toujours un moment où un homme seul sera confronté, au hasard d'une rencontre sur la route, à plus gros, plus fort que lui. La seconde, c'est que Max est visiblement trop blessé, trop brisé par son passé pour survivre "convenablement". Umungus et Gallo ont en commun ("Encore ?") le fait de continuer à espérer, même s'il ne s'agit que d'espérer une légère amélioration de la vie de tous les jours, ou un peu de répit. Max lui, se laisse porter par la route comme une feuille se laisse porter par le vent, avec comme seul horizon le jour suivant, et ainsi de suite. Une interminable errance, pour un homme qui n'est rien de plus qu'un "mercenaire", prêt à tout accepter, à tout endurer, pourvu que cela lui permette de rouler encore quelques bornes. Et de faire d'autres rencontres, de connaître d'autres combats.


Il y a peu d'explosions, et même de coups de feu (comparé à un Fury Road, par exemple) dans Mad Max 2. C'est rare, qu'un film d'action fasse ainsi reposer ses affrontements avant tout sur la tension qu'ils génèrent. C'est encore plus rare que ce genre de parti-pris réussisse aussi brillamment. Le coup de maître de Miller, c'est de donner corps à la sensation de danger, d'angoisse, parce que le spectateur sait (enfin, il comprend, au bout d'un moment) que la violence, la vraie, viscérale et affreuse parce qu'incroyablement "simple" dans sa représentation, va arriver. Ce n'est pas une question de "si", mais de "quand". Dans ce wasteland, c'est inévitable, on y échappe pas, et c'est ce qui rend ce futur si terrifiant : l'impossibilité d'envisager une échappatoire.


Alors oui, il faut recontextualiser Mad Max 2 pour l'apprécier pleinement. Mais il y a aussi dans ce film, malgré les improbables tenues en cuir, malgré les effets parfois un peu cheap, malgré les dialogues pas toujours très littéraires, des idées, des images intemporelles. Celle de Max mangeant le contenu d'une conserve de nourriture pour chien sous le regard empli de convoitise de l'aviateur en est une. Et c'est à ça qu'on voit que Miller est un grand : il n'aurait pas eu besoin de réaliser Fury Road pour continuer à fracasser tout ce qui se fait en matière de cinéma d'action d'action, même plus de trente ans plus tard.

RoiDesSables
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le 21 mai 2015

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