Qu'on fasse taire la musique, on n'entend plus la mer !

Autant être honnête et le dire d'emblée : c'est joli, c'est touchant, mais c'est très loin d'être ce que Amenábar sait faire de mieux. Et pourtant, c'est que cela avait de quoi faire envie, de voir un si bon cinéaste s'atteler au drame avec sous la main un acteur de la trempe de Bardem et un titre aussi évocateur : Mar adentro... l'histoire d'un homme tétraplégique ayant une "mer à l'intérieur".


Du coup, on s'attendrait légitimement à un film confrontant l'invivable réalité d'un corps paralysé avec la puissance salvatrice de l'imagination. Et le film d'ailleurs contient bien une scène qui aille en ce sens, magnifique scène de rêve et d'étreinte, si belle qu'elle justifierait à elle seule le visionnage. Sauf que pour l'essentiel, on se retrouve plutôt en ce qui concerne le reste devant un plaidoyer en faveur de l'euthanasie - donc devant un discours politique plutôt que devant un acte cinématographique. Le plaidoyer est aussi consciencieux qu'émouvant par ailleurs, développé avec fraîcheur, avec humour, sans oublier de façon très humble aussi de se retirer souvent pour laisser toute sa place à l'histoire singulière et au tempérament de son personnage.


Mais les aspects artistiques du coup, semblent un peu remisés voire négligés derrière le propos. Il y a bien quelques séquences de rêve ou de souvenir - parmi lesquelles celle que je citais plus haut - dont la mise en scène se distingue par une poésie et une intensité dont on comprend sans peine qu'elles viennent faire écho à la sensibilité forcément un peu écorchée de Ramón. Mais à côté de ça, certains dialogues et la romance centrale ne sont pas loin de prendre des airs de telenovela (en mieux joué et mieux photographié). Je veux dire : dans le ton, c'est adorable comme film, et les élans romantiques de Ramón autant que ses sentiments paternels envers son neveu un peu idiot mais gentil comme tout, je trouve ça mignon tout plein... mais ça ne suffit pas à faire du beau cinéma. Il y aurait fallu tellement plus de pensée, plus de subtilité que ces gros plans faciles sur des visages en larmes.


Puis cette musique... sérieusement, cette musique !
Il faudrait vraiment que quelqu'un fasse savoir à Amenábar que, s'il est capable d'être un brillant réalisateur lorsqu'il est bien luné, il n'a jamais été un bon compositeur. Et de tous ses films, celui-ci est sans doute celui qui en pâtit le plus. Entre ses partitions lacrymales donc, envahissant tout le film pour souligner lourdement chaque ressort émotionnel, et les danses galiciennes assourdissantes de Carlos Nuñez, il n'y a plus un instant de silence pour regarder de face, sans fioriture, la vérité de ce qui est vécu. Soit ça parle, soit ça joue. Et c'est d'autant plus dommage d'affubler tant de scènes d'une musique geignarde que le film, pour le reste, est tout sauf geignard : il se saigne à éviter le pathos, et il y arrive globalement bien. Alors pourquoi ?


Je me souviens m'être demandé, arrivant vers la fin du film la première fois que je le voyais, quels airs cela pourrait lui donner d'être entièrement silencieux - enfin, par "silencieux", j'entends moins de dialogues, pas de musique (sauf peut-être l'aria de Puccini, parce que la scène le justifie) - et assurément, au revisionnage, je me dis que ç'aurait été bien meilleur.


Alors évidemment, ça reste un film louable, voire aimable, plein de jolies choses très parlantes, et même authentiquement beau à plusieurs occasions. Mais c'est un film un peu encombré, aussi. Et c'est dommage.

trineor
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le 10 nov. 2015

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