En surfant sur la vague Vincent Macaigne, le nouvel acteur français sensible et drôle, Sébastien Betbeder nous a livré voici quelque temps 2 automnes, 3 Hivers, un film plutôt drôle et bien ficelé sur des trentenaires parisiens en vrac devant le grand A(mour) et la grande A(mitié). Une sorte de croisement entre une comédie screwball et un mumblecore, les deux à la sauce gauloise, qui devait certes beaucoup à des acteurs pleins de fraîcheur, mais également au scénariste réalisateur qui a su amener un équilibre entre légèreté et gravité.


Pour son nouveau film, Marie et les naufragés, Sébastien Betbeder change d’acteurs, mais pas de registre. Pierre Rochefort, le nouveau Macaigne ou presque, et Eric Cantonna, le modèle vintage de l’écorché vif, encadrent Vimala Pons pour une histoire d’amour triangulaire émaillée d’aventures pseudo-rocambolesques.


Le film s’ouvre sur un épisode qui pourrait être détaché du reste du film, une belle rencontre mettant en scène Pierre Rochefort et le belge Wim Willaert, une séquence pleine d’émotions qui permet de voir que le cinéaste maîtrise décidemment le côté percutant des histoires courtes et du court métrage, un genre qu’il a déjà exploité par huit fois dans le passé.


Ce début prometteur va hélas tourner court. L’histoire racontée par Sébastien Betbeder est certes pleine d’imagination et de digressions qui auraient dû créer la dynamique du film, mais en réalité, celui-ci ne décolle jamais vraiment. Vimala Pons est la Marie du titre, le personnage principal supposé donc, et pourtant le film ne donne jamais cette impression ; le personnage tout comme l’actrice semblent constamment en marge, presque hors cadre. Finalement, Marie est davantage un objet qu’un sujet. L’objet de la fascination de Siméon Forest (Pierre Rochefort), un journaliste sans travail qui en a fait la connaissance en lui rapportant son portefeuille trouvé dans la rue. L’objet des ruminations d’Antoine (Eric Cantona), un écrivaillon torturé qui encaisse mal le fait d’avoir été éconduit par la même Marie. L’objet aussi de la curiosité d’Oscar (excellent Damien Chapelle), le meilleur ami de Siméon, compositeur de musique électronique le jour (ou tentant de l’être), somnambule la nuit. Pour avoir voulu apporter beaucoup trop d’ingrédients à son film, Sébastien Betbeder a à peine caractérisé ses personnages qui n’ont pas vraiment de consistance, et c’est dommage, car le cinéaste avait matière à faire.


Les naufragés, ce sont ces trois hommes qui, dans le sillage de Marie, vont quitter la terre ferme qu’ils touchent déjà à peine, tant ils ont l’air inadaptés, pour aller sur l’île de Groix, avec sa plage convexe et sa Grotte de l’Enfer. Une île haute en couleurs à l’image du film, d’autant que le cinéaste y rajoute encore un personnage excentrique mi-homme, mi-raëlien, interprété par un André Wilms impérial et qui, à l’instar du belge du début, est un personnage périphérique et loufoque de plus.


Tout comme dans 2 automnes et 3 hivers, et tout comme récemment dans Rosalie Blum de Julien Rappenau, où trois personnages principaux s’adressent face caméra pour se présenter au spectateur et susciter son empathie, les membres du triangle amoureux de Marie et les naufragés racontent tour à tour leur passé atypique et assez comique : une allergie insolite pour Antoine, un de ces films coréens sans complexe pour Siméon et sa jeune enfant de 6 ans, ou encore un déguisement inoubliable pour Marie, voilà le genre de douces dingueries racontées devant la caméra…c’est bien écrit, mais il y a de la mollesse dans la direction d’acteurs, de la mollesse dans le montage, de la mollesse dans le jeu même de ces acteurs d’habitude plus inspirés, et ça finit par faire beaucoup trop pour un seul film. Les voix monocordes des acteurs finissent par avoir raison de l’intérêt déjà mis à rude épreuve du spectateur. Même le scénario foisonnant qui était l’atout majeur du film devient sa faiblesse, quand on réalise que les situations qui sont racontées dans le film se télescopent sans jamais faire un tout, sans jamais avoir le liant qui aurait permis de faire du film une œuvre cohérente.


L’autre vrai souci de ce film est la neurasthénie ambiante, et seul le comédien liégeois Damien Chappelle, le Bacchus des Métamorphoses de Christophe Honoré, arrive à mettre de la vie et de la gaité dans son jeu. Héritant pourtant d’un des rôles les plus tristes du film (un somnambulisme angoissant, un CD qui ne veut pas sortir), il arrive à insuffler une vraie fraîcheur et beaucoup d’humour à son personnage ; il est la vraie valeur ajoutée du film. Pierre Rochefort et Vimala Pons ont une sorte d’hébétude plaquée en permanence sur leur visage, aux antipodes de ce qu’on a vu d’eux, respectivement dans Un beau Dimanche de Nicole Garcia et Comme un avion de Bruno Podalydès. Quant à Eric Cantona, il continue encore et toujours à reproduire son lumineux personnage de Looking for Eric de Ken Loach, sans grand succès (tentative déjà avortée dans The Salvation du danois Kristian Levring)…


Etouffant de trop de tristesse, de trop de mélancolie, malgré la musique electro-pop sucrée de Sébastien Tellier, Marie et les naufragés nage entre deux eaux et perd le spectateur en route à cause de ses longueurs, particulièrement insupportables dans son improbable épilogue, alors qu’il partait sous les meilleurs auspices avec une entame réjouissante et un scenario riche et enlevé. Une sorte de gâchis qu’on espère passager dans la carrière naissante de Sébastien Betbeder.


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Bea_Dls
5
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Créée

le 26 avr. 2016

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Bea Dls

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