Attention, spoiler!
Michaël est un grand optimiste, plutôt idéaliste, un peu naïf (« tout va s’arranger », répète-t-il souvent, pour rassurer sa femme, sinon lui-même) mais il ne se laisse pas marcher facilement sur les pieds pour autant : il défend ses engagements, ses valeurs, il se défend et n’hésite pas à en passer par la force physique. Sa voix douce contraste avec sa carrure robuste. Bref, Michaël, c’est Vincent Macaigne – l’un des plus grands acteurs français contemporains, à n’en plus douter. Après son apparition dans la série Canal + La Flamme, où il jouait Ludo, un sans-abri engagé dans un association pour aider les sans-abri à trouver un logement, le voilà médecin de nuit profitant de son statut pour prescrire des ordonnances aux toxicomanes en plus de son travail déjà fatiguant. « Oui, c’est politique ! », avoue-t-il. Et voilà que Michaël enfile soudain le manteau du révolté. C’est ça Michaël, le rêve de venir en aide à tous les toxicos de Paris, un rêve qui oscille entre spleen et idéal. Minuit, à Paris, ça n’a rien à voir avec le romantisme de Woody Allen, c’est sale, c’est violent, c’est sombre. Michaël est père de famille, marié le jour, et médecin, amant la nuit. Le film se passe le temps d’une soirée, comme une caméra embarquée : il récupère ses filles à l’école, se dispute avec sa femme, Sacha, parce qu’il doit travailler cette nuit encore et n’est pas à la maison, revoit sa maîtresse, Sofia, pour la quitter, se rend à la soirée d’anniversaire de son cousin, Dimitri, pharmacien qui profite (ou dépend ?) économiquement des ordonnances que Michaël prescrit aux toxicomanes. Bref, c’est un bourbier dans lequel il s’enfonce, et il le sait. Il veut tout arrêter, mais le rythme est trop rapide et l’emporte dans sa tempête. Il veut arrêter ce trafic, mais son cousin, lui, ne veut pas. Michaël est naïf, on comprend plus rapidement que lui le caractère de Pio Marmai, manipulateur endetté. Décidément, Pio Marmai, après son rôle dans la série En thérapie, enchaîne les personnages toxiques… C’est lui qui enfonce Michaël dans une nuit sans fin. Il sort avec Sofia, la maîtresse que Michaël veut quitter, et la demande en mariage. Triangle amoureux, relation toxique. (Vincent Macaigne a le rôle de celui qui se fait avoir, le rôle de Pio Marmaï justement dan Alyah du même Eli Wajeman.)
Le danger n’est pas où l’on croit. Ce ne sont pas les toxicos le principal danger pour Michaël, c’est son cousin Dimitri, c’est un danger interne, intime. Dimitri, allégorie du pouvoir, de l’État. « Oui, c’est politique ! » : occupe-toi des toxicos, nous on ne le fait pas, mais surtout rapporte-nous de l’argent. Michaël a des allures d’Atlas. Il ne peut pas arrêter, il est pris dans la nuit, pris dans le système, oppressé. Faire le bien c’est un combat, ce n’est pas naturel, ce n’est plus sans efforts.
Peut-on être optimiste ? Doit-on être réaliste ? Que tente de nous dire le film en nous embarquant dans les galères qui s’accumulent sur le dos de Michaël, qui n’a de cesse d’enfiler sa veste comme s’il renfilait sans cesse une embrouille ? Les jeux de couleurs, de lumières, le contraste entre la nuit et les lampes crée une sorte de feu d’artifice, des instants de courte pause, de petite poésie (d’espoir ?). Pas si loin, de ce point de vue et de celui de la double vie, de l’esthétique de *Drive*, c’est cependant la chaleur, la douceur même, qui recouvre le pare-brise de Michaël – avant la violence. La voiture est un cocon, un chez soi, un abri voire un refuge ; Michaël y invite des patient.e.s, se protège d’autres, de la pluie. C’est le lien entre les deux vies de Michaël : il ramène ses filles de l’école en voiture en dansant gaiement, il erre dans Paris de patient en patient, il fait ses ordonnances ou ses visites médicales comme dans un cabinet, et il prévoit même d’y dormir à la fin en attendant de saluer ses filles. Michaël est, le temps d’une nuit, un vagabond. La voiture reflète le contraste entre réalisme et optimisme : on y échange des coups ou des sourires. Dans la voiture, il y a la peluche qu’une de ses filles a oublié, un lapin blanc. Le pays des merveilles est-il possible, ou bien est-ce trop tard (le lapin blanc, toujours en retard, mais malgré tout guide) ?
A la fin, beaucoup de choses sont encore en suspend tandis que d’autres sont actées : Michaël quitte sa maîtresse pour de bon, il rejoint une équipe de jour de médecins du monde pour arrêter de travailler la nuit, il règle ses comptes avec son cousin et, finalement, sa femme semble finir par le pardonner. Le médecin de nuit devient le médecin du monde : changement d’échelle et d’ambition. Peut-on espérer ? Le film, au fond, ne répond pas. Il laisse derrière lui beaucoup de choses en suspend à la fin de la nuit : qu’en est-il de la jeune femme de 18 ans amenée en hâte aux Urgences pour overdose ? Qu’en est-il de Michaël, évidemment aussi, lui qui soupire éternellement à sa femme son refrain « ça va aller, ça va aller » et un couplet inquiétant « et merde » ? Ces incertitudes rendent à la vie son intérêt. Seul le jour qui succède à la nuit est certain. Le cinéma, comme la médecine, peut-il guérir, réconforter, prévenir son public ? Oui, ce long voyage au bout de la nuit, c’est politique, et ce court film d’une heure quarante aussi (peut-être un peu trop court, mais au rythme parfait).