Les médecins ne sont pas forcément des personnages que le cinéma aime mettre en avant. Ou alors c'est souvent par le biais de l'hôpital, lieu de tous les drames et des destins brisés, où des héros du quotidien pansent aussi bien les plaies de Monsieur Tout-le-monde que de la grande misère sociale. Un lieu propice à inspirer bien des histoires donc.
Pour son troisième film en tant que réalisateur, Élie Wajeman a choisi une approche plus atypique et nous invite à suivre un médecin seul, au cœur de la nuit parisienne.
Mickaël est généraliste. Mais ce n'est pas vraiment le genre de généraliste qu'on a l'habitude de consulter. Lui n'a pas de cabinet et a deux particularités. La première est qu'il travaille essentiellement la nuit. Il se déplace chez des patients en détresse qui ne peuvent attendre le lendemain pour consulter. Il parcourt donc Paris en fonction de ce que lui attribue la centrale d'appels. Sa deuxième "spécialité" est qu'il prend en charge des patients toxicomanes. Ceux que la plupart des médecins ou des hôpitaux refusent de recevoir. Mickaël les accueille souvent dans sa voiture et leur procure des ordonnances de Subutex, une substance proche de la morphine qui permet de supprimer les symptômes du manque qui surviennent lors de la privation de drogue.
Le problème, c'est qu'il n'est pas très regardant et qu'il est connu pour ça, du coup, cette patientèle un peu particulière devient de plus en plus conséquente.
En réalité, si notre médecin de nuit distribue ses ordonnances comme des petits pains, c'est surtout pour aider son cousin Dimitri. Ils ont le même âge mais Dimitri, lui, est pharmacien. Endetté, il a embarqué Mickaël dans un trafic d'ordonnances qui doit lui permettre de rendre de l'argent à un prêteur peu fréquentable.
Le film d'Élie Wajeman se déroule durant une seule et unique nuit d'hiver. Une nuit en forme de point de bascule pour Mickaël lorsque son cousin lui demande une nouvelle "faveur" qui risque bien de lui coûter son statut de médecin. Une nuit aussi où il doit décider de son avenir affectif. Mis au pied du mur par sa compagne, il devra choisir entre sa vie de famille et ses escapades nocturnes qui avec le temps, sont devenues un peu plus que de simples "tournées" auprès de ses patients.
Médecin de Nuit est, sans mauvais jeu de mots, un film sombre. Un drame psychologique, la descente aux enfers d'un homme aux abois qui a perdu le contrôle de sa vie. Il nous plonge dans les rues d'un Paris by night version glauque. L'ambiance est particulièrement soignée et l'affiche du film traduit bien l'atmosphère du film: noire, anxiogène, avec une récurrence de lumières bleues/vertes qui confèrent à Médecin de Nuit son identité visuelle. Les thèmes musicaux sont également marquants et contribuent fortement à insuffler un climat tourmenté au film.
Porté par un très bon Vincent Macaigne, Médecin de Nuit signe le retour du film noir à la française. Il brille par son pitch original, son scénario plutôt malin et son ambiance remarquable.
Cette virée dans la nuit urbaine semble bien plus longue que les 1h22 qu'elle dure réellement, probablement parce l'œuvre est particulièrement dense et prenante, et parce que les événements se bousculent tellement qu'on imaginerait pas qu'ils puissent se succéder au cours d'une seule soirée.
Elle a également le mérite de nous parler d'un monde qu'on soupçonne mais auquel on ne préfère pas penser lorsque l'on ferme nos rideaux le soir. Ce monde qui, en attendant l'arrivée rassurante de la lumière du matin, fait de la ville le lieu de vagabondage des âmes en peine.