Megane
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Megane

Film de Naoko Ogigami (2007)

Naoko Ogigami est une réalisatrice japonaise née en 1972, auteur d’une réussite surprise avec Kamome diner (2006) film à petit budget tourné en 4 jours, centré sur une jeune femme venue du Japon pour ouvrir un restaurant en Finlande. L’ambiance originale, le ton et la fantaisie du film lui ont valu un certain succès passé quasiment inaperçu en France, puisqu’il n’est pas sorti en salles et reste indisponible sur support physique. Megane (2007) est le film qu’elle tourne juste après, avec probablement de meilleurs moyens techniques et le choix de ne pas donner de suite à Kamome diner sans abandonne un ton très personnel et manifestement typiquement japonais ainsi que des thèmes qui l’inspirent.


Une jeune femme nommée Taeko (Satomi Kobayashi) arrive avec une valise à roulettes sur un rivage enchanteur, plage de sable fin, mer d’un bleu incroyablement transparent et soleil éclatant. Elle cherche la pension Hamada qu’elle finit péniblement par trouver, malgré un panneau ridiculement petit pour signaler l’établissement. Hamada (Ken Mitsuishi) lui confiera un peu plus tard qu’il craint d’attirer trop de monde. Révélation typique de l’esprit de ce film, où l’essentiel se passe entre cette pension et une baraque sur la plage où Sakura (Masako Motai) propose de la glace pilée qu’elle nappe de sirop. Sakura est une énigme, débarquant de l’aéroport à la belle saison, Yuji Hamada et Haruna (Mikako Ichikawa) sentant soudain sa présence alors qu’ils vaquent à leurs occupations. Que fait Sakura le reste de l’année ? Elle pourrait aussi bien enseigner le yoga en Australie ou la culture des bonsaïs quelque part aux États-Unis, quelle importance ?


Comment Taeko a-t-elle choisi ce lieu de villégiature ? Son principal critère de choix : que le portable ne passe pas. Ayant trouvé la pension Hamada, elle est félicitée par Haruna qui dit que Taeko serait la deuxième après elle à être arrivée sans se perdre. Les discussions entre Taeko et Haruna se passent plusieurs fois dans la voiture de cette dernière. Ainsi, lorsque Taeko décide sur un coup de tête, de fuir l’étrange ambiance de la pension Hamada (Yuji se révélant incapable de lui indiquer la moindre visite possible dans le coin), c’est Haruna qui la conduit au Marine Palace. Indication « Quand vous pensez être perdu(e), continuez encore 200 m et tournez à droite ». Taeko arrive ainsi au Marine Palace où la philosophie d’existence, fondamentalement différente de ce qu’elle a observé pension Haruna, lui fera réintégrer illico ladite pension.


Ce film sans prétention dégage un charme étonnant. Ni vraiment situé géographiquement (bien qu’il soit visiblement typiquement japonais), ni complètement hors du temps (rattaché à notre époque par tous les accessoires utilisés), Megane déconcerte et amuse. L’information donnée à Taeko est que d’un côté il y a la plage, de l’autre le village. On aperçoit bien ce dernier de loin et on suppose que les enfants qu’on voit à l’occasion sur la plage en viennent, mais c’est tout. Les enfants pourraient être les élèves d’Haruna, celle-ci étant enseignante en Sciences Naturelles (elle déplore qu’il n’y ait aucun beau garçon dans ses nouveaux élèves). Cela pourrait expliquer qu’elle soit toujours en retard pour partir en cours et qu’elle passe beaucoup de temps à la pension Haruna et sur la plage, et donc véhiculer Taeko à l’occasion.


Que faire pendant quelques jours de vacances, dans une chambre au décor minimaliste, matelas posé directement sur le sol ? Taeko va (ré)apprendre à poser des questions aux uns et aux autres sans s’étonner que les réponses ne lui apportent pas grand-chose, à rêvasser sur la plage en tricotant, partager le plaisir d’un bon repas ou encore en dégustant une glace confectionnée par Sakura qui la déconcerte complètement au moment du payement. Et puis Taeko observe les uns et les autres vaquer à leurs paisibles occupations quotidiennes (jardiner, pêcher, jouer de la musique). A propos de musique, celle-ci occupe une place de choix dans le film, d’abord parce que Taeko en entend régulièrement tous les matins venant de la plage (une fois réveillée par Sakura, qu’est-ce qui lui prend ?) Une mélodie entêtante jouée au piano. Parmi les autres instruments qu’on entend également à un moment ou un autre, le violoncelle, la guitare sèche, la trompette et la mandoline.


Avec son rythme lent, le film incite le spectateur à prendre le temps pour profiter de la douceur de vivre. Discuter tranquillement, faire de la musique ou en écouter, jouer (on observe un jeu sur échiquier). L’originalité vient du ton adopté, où une certaine langueur est renforcée par quelques traits d’humour et le petit mystère qui persiste autour de chaque personnage (renforcé par quelques situations absurdes qui se succèdent assez régulièrement), le tout renforcé par des couleurs claires qui incitent à la détente. Ce qui n’empêche pas certains efforts (Sakura avec son tricycle).


Naoko Ogigami réussit un film minimaliste (scénario), tout en installant une ambiance séduisante avec les éléments à sa disposition : des lieux chaleureux (la pension et la plage notamment), des personnages bien interprétés (les 4 principaux donnant le ton, le cinquième s’y incorporant en cours d’histoire arrivant un peu comme un cheveu sur la soupe), avec une touche de fantaisie qui fait mouche à tous les coups.


Une jolie découverte, par une réalisatrice dont on aimerait voir les films disponibles en France. J’ai eu la chance de voir celui-ci à Vesoul le 8 février 2017, au 23ème FICA (Festival International des Cinémas d’Asie) où j’étais invité sur proposition de SensCritique. Merci à SensCritique et à toute l’équipe du FICA !

Electron
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le 10 mars 2017

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