Michael Kohlhaas, combattant sublimé par la nature

Après l’échec de Parc (2006), Arnaud des Pallières réalise un film plus accessible et s’éloigne un peu du cinéma d’auteur confidentiel. Nominé à Cannes et récompensé de deux Césars pour le son et la musique originale, Michael Kohlhaas a fait parler de lui, notamment grâce à la présence de Mads Mikkelsen au casting.
En adaptant librement l’oeuvre de Kleist, Michael Kohlhaas, Arnaud des Pallières réalise un projet qui lui tenait à coeur depuis plus de 25 ans et nous livre un film à la beauté épurée et époustouflante. Dès les premières minutes, les grandes plaines rocailleuses des Cévennes et le charisme de Mads Mikkelsen, photogénique à souhait, ravissent déjà nos yeux. L’image, numérique, sublime un paysage et une météo changeante, exprimant malgré elle les tourments intérieurs du personnage, lésé par un jeune seigneur abusif. Tourné en décors naturels, le film, qui initialement devait comporter bien plus de scènes en intérieur, ne perd rien au change, le région offrant au réalisateur et à sa chef opératrice une lumière magnifique, qu’ils n’hésitent pas à exploiter, quitte à transgresser une règle entendue dans le monde du cinéma, celle de ne pas filmer en soleil zénithal (scène, magistrale, de la visite de la princesse). Jouant sur les contrastes entre soleil pesant et les intérieurs sombres, Jeanne Lapoirie tente de montrer la dureté de l’époque, où les gens vivaient dans le noir, avec pour seule source de lumière une bougie. Cette histoire d’homme bafoué, qui décide de se faire justice lui-même, est un thème universel qui évidemment nous parle. Spectateurs de l’abus dont Kohlhaas est victime, on ne peut que s’attacher à ce personnage qui se bat pour qu’on lui rende ses chevaux dans leur état initial, maltraités par les hommes du seigneur. Pour filmer cette histoire, très actuelle, Arnaud des Pallières opte pour un décor dépouillé, évitant ainsi les travers des reconstitution historiques, et s’inspire de peintres allemands, flamands et de la mode allemande de l’époque pour la création des costumes, privilégiant la sobriété à l’apparat. Il concentre alors l’attention du spectateur sur ses personnages, tous très bien interprétés. Sous les traits de Mads Mikkelsen, Kohlhaas parait sans faille, mais le jeu de l’acteur nous fait deviner peu à peu que son obstination le perdra. Son visage, taillé à la serpe, exprime à merveille la dureté et la poigne du personnage. Le combat de l’injustice ne saurait se dissocier de la vengeance, qu’il fait subir aux gens qui côtoient le jeune seigneur. A ses côtés, son fidèle valet, mutilé par les chiens alors qu’il tentait de soigner les chevaux de Kohlhaas. Interprété par David Bennent, le personnage de César parle peu mais n’en exprime pas moins. Quant à Dennis Lavant, retenu à l’origine pour le personnage de César, il nous livre une interprétation marquante de Luther, l’homme chargé de rappeler sa foi à Kohlhaas.
Habitué des documentaires ( Disneyland, mon vieux pays natal; Is Dead ), Arnaud des Pallières en garde l’approche, malgré une envie de maitrise et de contrôle. Film à petit budget, Kohlhaas se tourne parfois sur le vif, l’équipe sachant tirer profit des différents événements météorologiques susceptibles de rendre les scènes plus belles. C’est ainsi que les fausses teintes, présentes lors des plans de l’annonce de l’amnistie, ont été gardées. La brume aussi, que l’on retrouve dans la scène où Kohlhaas s’enfuit avec sa fille, était un heureux hasard, et la séquence a été tournée sur le moment même. Cela donne à la scène un côté plus dramatique, soulignant l’impasse dans laquelle se trouve le personnage principal. Cette sorte d’improvisation contrôlée, donne au film ses plus belles images, lui offrant une réalité qui n’est pas feinte, ni orchestrée. Les effets spéciaux évités tant que possible, le réalisateur préfère ne filmer que ce qui peut être véritablement vu. La pureté de l’image, que certains pourraient qualifier d’austère, sublime ce western féodal désiré par le réalisateur. Il alterne les plans fixes et panoramiques, et choisit des cadrages simples mais efficaces : le dépouillement est appliqué à toutes les étapes du film.
Pour ce qui est de la musique du film, récompensée par un César, Arnaud des Pallières à fait appel aux Witches et à Martin Wheeler, qui avait déjà collaboré sur ses précédents films. Utilisant notamment la viole de gambe, la musique originale devient la voix intérieure de Michael Kohlhaas, suggérant « ses doutes, ses angoisses et sa rage contenue » (propos de Claire Michon, flutiste)
Dans sa mise en scène comme dans sa manière de filmer, Arnaud des Pallières met en valeur la colère intérieure de son personnage, qui finira par lui couter la vie. Avec la recherche de réalisme prônée par le réalisateur, le film devient une sorte de témoignage de l’époque, de la nature et les hommes. La remarquable photographie du film, qui éclipserait presque le jeu indéniablement bon des acteurs ( Mads Mikkelsen, toujours, qui ne peut qu’attirer la caméra), et le choix d’un film épuré et sobre font de cette fresque chevaleresque une réussite, dont nos yeux ne se lassent pas.

MrMonocle
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le 20 févr. 2016

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