Il y a dans la mise en scène de Fincher une logique très kubrickienne, notamment proche de Shining, visant à donner à la scène la plus banale sur le papier une atmosphère glaçante par le langage cinématographique, démonstration d'un air vicié n'épargnant aucun individu. Le perfectionnisme désormais légendaire du réalisateur trouve dans ce film un terrain propice au propos qu'il développe : les travellings millimétrés jusqu'à en devenir inhumains mettent en valeur cette lumière inquiétante, le montage tranchant dissèque les personnages pour aller chercher l'émotion la plus dissimulée, et les plans font la part belle aux lignes transperçant l'écran dans tous les sens pour emprisonner les esprits dans leur propre folie.


Avec le livre de Stieg Larsson, Fincher trouve un matériau de base lui permettant de laisser libre cours à ses obsessions. Il s'agit sans doute de son film le plus cohérent dans sa mise en scène reconnaissable entre mille, sa réalisation obsessionnelle venant se calquer sur des personnages qui le sont tout autant.


L'obsession pour la liberté, paradoxalement, enferme nos personnages. Une libération poursuivie qui demande de rejeter toutes les contraintes que l'on voudrait appliquer sur nos êtres : la famille, la religion, la loi... Mais, film de Fincher oblige, cette liberté n'est qu'une façon de libérer ses pulsions (sexuelles ou sadiques, les deux étant mises au même niveau) par la domination de l'autre. Dans Millenium, la liberté et la domination ne sont donc considérés que comme un seul et même concept, destructeur de tout ce qui nous maintient en un seul morceau : la famille, la religion, la loi...


On repensera alors à cette question posée par Martin, reconnu coupable de meurtres en série : qu'est ce qui pousse Mikael Blomkvist à retourner dans sa maison ? C'est bien sûr l'obsession perverse pour la vérité, mais pas que. On pourra se poser la même question pour Lisbeth. Malgré qu'elle connaisse la perversité du fonctionnaire s'occupant de veiller sur elle, elle retourne chez lui pour récupérer de l'argent, l'amenant finalement à se faire violer. Encore une fois, c'est le désir de liberté, dans ce cas représenté par l'argent dont a besoin Lisbeth pour racheter un ordinateur lui permettant de consommer cette liberté total par le hacking, qui empêche de se sortir d'une situation. De même pour Mikael qui cherche à tout prix à récupérer son intégrité journalistique en allant au bout de cette affaire.


En réalité, les personnages échouent à comprendre que cette liberté ne s'obtient pas en rejetant la contrainte, mais en l'acceptant pour ce qu'elle est. Sans doute le spectateur pourra regarder ces personnages de haut, se moquant de leur conflit existentiel les piégeant dans une vision du monde trop étriquée pour être salvatrice. Mais Fincher, par le succès phénoménal qu'il rencontre à chacun de ses films, ne fait que consolider son propos : la perversité du film est autant celle de ses protagonistes que celle de son spectateur.

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le 28 nov. 2018

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