Bonjour,
C'est le premier avis que je poste sur SensCritique. Je vais essayer de ne pas multilpier les divergences pour me focaliser sur un aspect d'un de mes films préférés,* Miller's Crossing * de Joel et Ethan Coen (oui je sais l'un réalise, l'autre produit, les deux écrivent, mais ne nous voilons pas la face :) Ils ont tous les deux la haute main sur leurs projets - bons comme mauvais). Tout d'abord, je tiens à préciser - et je peux tout à fait en débattre - que je considère ce film comme le véritable chef d’œuvre des Frères Coen. J'avais, avant de le voir, savouré Fargo et Blood Simple.
Il y en a d'autres des deux frangins que j'apprécie, mais Miller's Crossing - premier pôle de ce qui a été peut-être la période la plus thématiquement et visuellement riche - en seulement deux films - de leur filmographie - avec Barton Fink, est pour moi apparu rapidement comme mon préféré. C'est un avis purement subjectif, mais je dois bien avouer que s'il faudrait m'attacher comme Alex de Large pour me forcer à regarder The Big Lebowski, que je trouve No Country For Old Men aussi surestimé que le bouquin de C. MacCarthy dont il est tiré (je l'ai lu pour prendre la mesure de ce que je considérais comme un accident de parcours pour les Coen - un de plus), que je n'ai pas aimé O'Brother (même si j'adore son casting) ni Ladykillers (le cru moisi, à mon avis, de 2004 - et dire qu'ils sont allés à Cannes avec ce truc, moi je dis : "Favoritisme cannois, Gilles Jacob !"), eh bien, malgré tout cela, il y a Miller's Crossing, un de ces films que je regarde souvent et sans jamais me lasser. Avec le temps, je trouve que même l'excellent Fargo a des longueurs, et que Blood Simple n'a peut-être pas été entièrement éclairci par son "director's cut" (je regrette également le procédé "lucasien" qui consiste à passer l'ancienne version aux oubliettes - mais je me gourre peut-être, à d'autres de me dire). Mais Miller's Crossing est à mon sens un film où je ne m'ennuie jamais, malgré la complexité affichée d'entrée de jeu de son scénario. Les meilleurs films sont ceux que l'on regarde pour mieux les comprendre, les laisser infuser dans son esprit... C'est du moins ma vision purement émotionnelle des choses. Si on me lance sur le plan technique...


Ma glose de fan hardcore de ce film ayant été écrite, je peux maintenant me focaliser sur un aspect du film qu'un autre avis (fort bien rédigé par ailleurs) m'a poussé à écrire : celui de la "vraie relation ternie" de ce film où les alliances, amitiés, amours et mésalliances sont effectivement sujettes à caution et asservies à l'opportunisme des jeux de pouvoir qui mènent la ville fictive des années 30 dans laquelle il nous emmène.
Le film compte bien des relations d'amitié, d'inimitié ou marquées par l'ambiguité : l'article qui m'a fait réagir parlait de l'histoire d'amour entre Verna Birnbaum (Marcia Gay Harden) et Tom Noonan (Gabriel Byrne) - une histoire d'amour détruite par toute la fange dans laquelle s'enfoncent les personnages, qu'ils soient gangsters ou hauts-fonctionnaires, seconds couteaux ou boss de leurs empires, juifs, irlandais, danois ou italiens (la critique avait d'ailleurs raison sur ce point : aucune origine ethnique n'est épargnée - et je crois qu'on pourrait difficilement taxer ce film de "raciste" ou - à plus forte raison - d' "antisémite")... Mais dans le labyrinthe miné et coupe-gorge où les double-cross ont presque plus de fréquence et de tangibilité que le fameux croisement-cimetière à ciel ouvert du titre, je pense que la vraie relation - filiale, affective, platonique sur un plan sexuel - qui est détruite dans le film est celle entre Tom (Byrne, donc) et Leo (Albert Finney, magistral). Je vais essayer, en revenant sur ce dont je me souviens du film (que je connais assez bien - mais encore une fois, je peux me tromper et j'apprécierais qu'on me le signale le cas échéant), de souligner cet aspect en revenant sur quelques points du film ici listés :



  • Tom est le conseiller de Leo, et le fils que ce dernier n'a pas eu, du moins aux yeux du chef de gang.

  • La relation dysfonctionnelle entre Tom et Verna n'est pas le cœur émotionnel du film.

  • La dernière scène est l'illustration de ces deux affirmations.


Cet avis, que je vais poster en plusieurs temps, s'adresse davantage à ceux qui ont vu le film. Je me lance, donc, mais gardant à l'esprit que je n'ai pas "la main de gloire" qui me permet d'interpréter ce film mieux que les autres, et que je suis tout à fait apte à entendre des avis contraires.


- Tom est le conseiller de Leo, et le fils que ce dernier n'a pas eu, du moins aux yeux du chef de gang.
Je commence avec une telle affirmation, car la première scène montre d'entrée de jeu que les deux personnages, malgré leur cynisme (surtout celui de Tom) et leur brutalité rentrée (surtout celle de Leo - dont le nom prend toute sa saveur "animale" lors d'une scène de fusillade jouissive à la mitraillette Thomson chargeur camembert), semblent s'estimer réellement - malgré quelques accès de condescendance : Leo a besoin des conseils de Tom, et le film démarre vraiment sur ce qui semble être leur premier vrai désaccord - le dilemne "Doit-on tuer Bernie Birnbaum (John Turturro) ?". Lorsque Leo propose de régler les dettes de jeu (à deux reprises dans le film) de Tom, il est sincère et manifestement bienveillant. Quand celui-ci refuse pour la deuxième fois, il n'insiste plus. Douloureusement sincère est le vieux chef de gang irlandais quand il demande à voir, chapeau à la main, son conseiller car il ne sait pas où est la venimeuse (et, au final, bien malchanceuse) Verna. L'amour que Leo porte à Verna est marqué par un manque de confiance notable, à tel point qu'il ne lui vient même pas à l'esprit que sa maîtresse puisse être dans la chambre voisine - celle où Tom et Verna ont couché ensemble. Tom dit à plusieurs reprises, même après avoir changé de camp et rejoint celui de Caspar (Jon Polito), des phrases qui prennent Leo comme exemple - ou qui montrent le reste d'affection qu'il a pour lui. Certes, quand un des lieutenants de Leo vient l'avertir - manu militari - qu'une guerre se prépare et que Tom ferait bien de se tenir à l'écart, la répartie cynique de Tom ("Tell Leo he's no God on the Throne.") n'empêche pas le fait que Leo ait lancé une démarche musclée d'avertissement qui éviterait à Tom d'autres dégats. Plus loin dans le film, quand Caspar tente de forcer la main du maire à engager ses cousins non-anglophones à un poste élevé de l'administration, Tom remet le maire réticent à sa place en lui disant en termes quasi-orwelliens qu'il n'était pas aussi féru (le maire) de "double-langage" au temps où Leo "dirigeait la ville" ("was running things"). Si dégouté que soit Tom vis-à-vis de l'obstination de Leo à ne pas vouloir lâcher Birnbaum frère et sœur, et si ulcéré que soit Leo devant l'aveu que Tom balance comme un va-tout sur ses propres frasques sexuelles avec Verna, il reste une sorte de dépit affectif qui, à mon sens, revient en plein jour (obscurci par les branches, certes) dans la scène finale. J'y reviendrais en temps voulu.

LeLoudu59au38
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le 15 mai 2016

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