Une histoire de trahisons (Spoiler inside)

La véritable "Mission Impossible", c'est de juger cette adaptation cinématographique de deux séries cultes qui ont marqué l'enfance de nombreuses personnes et notamment la mienne. Pendant longtemps, et surtout lors de mon premier visionnage, il m'a été impossible d'apprécier réellement ce premier épisode d'une longue saga cinématographique. Pour la simple et bonne raison qu'il repose sur une absurdité psychologique intenable.


A l'entame du film, ceux qui ont donc grandit avec les séries "Mission impossible" sont heureux de retrouver le personnage culte de Jim Phelps, bien qu'on regrettera toujours le charisme sympathique de Peter Grave remplacé par un Jon Voight qui a certes le charisme mais non l'air sympathique du premier. On appréciera aussi l'arrivée d'un nouveau personnage incarné par Tom Cruise, ayant déjà à l'époque fait ses preuves comme acteur de film d'action (Top Gun ; Jours de Tonnerre). La nouvelle garde à coup sûr permettra davantage à la saga, que le vieux mentor Phelps, de s'orienter vers un film d'action dynamique et trépidant.
Bien entendu la mort du premier, au début du film, apparait comme une légère déception pour les amateurs de la série mais annonce aussi un nécessaire passage de flambeau pour un nouvel avenir. Je n'attends pas personnellement d'une adaptation qu'elle se contraigne à tel point, qu'elle s'empêche de se construire sur la durée. Bien des éléments annoncent cependant petit à petit la mascarade derrière cette mort. Disséminée petit à petit à juste dose de manière de moins en moins subtile, cette révélation progressive est typique de ce que j'apprécie dans le cinéma de Brian De Palma, la maîtrise du rythme. Bien entendu, tout cinéphile attentif remarquera dès le début du film que la mort du personnage nous est montré de telle manière à ce qu'on ne voit guère la scène, laissant ainsi beaucoup trop de flou malgré les apparences pour ne pas être suspecte. L'intrigue annonce par la suite une trahison, la suspicion revient donc, mais un autre suspect permet de garder une part de suspens. La vérité est par la suite révélée clairement, mais implicitement, à travers une note dans un livre. Enfin, la vérité se révèle explicitement et visuellement à travers l'imagination du héros, qui reconstitue la scène. C'est cet art de la progression que j'apprécie chez De Palma. Il ne s'agit pas de disséminer des indices trop subtiles, ni même de surprendre pleinement le spectateur de manière tonitruante, mais bien de construire solidement une révélation.


Pourtant, au premier visionnage de ce film, malgré cette construction solide et claire, je n'avais pu deviner cette trahison. Pourquoi ? A cause d'une autre trahison, celle de De Palma, il contrevient totalement au personnage de Jim Phelps. Pour tous ceux ayant vu les séries "Mission : Impossible", il est tout simplement impossible que Jim Phelps puisse ainsi trahir. Tout simplement impossible ! C'est comme imaginer une adaptation cinématographique de "Ma sorcière bien-aimé" où la fameuse sorcière bien aimée se révèle vouloir conquérir la terre pour imposer la tyrannie des sorciers. C'est comme imaginer un film "La petite maison dans la prairie" dans lequel Charles Ingalls se révèle être un Serial Killer cachant ses vices derrière une vie de famille en apparence idéale. On a vu vivre le personnage pendant tant d'épisodes, réagir à tant de situations, qu'un tel retournement de situation apparait absurde, impossible. C'est comme imaginer Blanche-Neige prendre les armes et monter une armée pour attaquer revêtue d'une armure la méchante sorcière. Quoi ? Ils ont osé ?


Bref, l'histoire même repose sur une absurdité psychologique, une impossibilité. Bien entendu, cela ne jouera que dans l'esprit de ceux connaissant la série. Faut-il faire table rase du passé ? Pourquoi pas mais alors il aurait réellement fallu balayer certains éléments trop ancrés comme le rôle de Jim Phelps, ou même faire de Tom Cruise, une version revisitée et jeune de Jim Phelps, une version tournée action. De plus, l'excuse de la prise de liberté ne tient pas vraiment pour moi car si le film suppose que le spectateur ne connait pas Jim Phelps, la trahison perd beaucoup en intensité car elle est finalement la trahison d'un personnage anodin, qu'on ne connait pas, et qu'on imagine pas spécialement en mentor. Certes, ce statut est mentionné à quelques reprises. Mais il aurait alors fallu quelques flashback pour nous montrer la complicité qui s'était créée au fil des ans entre Ethan Hunt et Jim Phelps, cela aurait alors permis de faire réellement ressentir tout le poids de cette trahison.


En ce qui concerne la réalisation, elle est à l'image du merveilleux rythme de l'intrigue. Tout en sobriété, elle permet d'instaurer une tension sans en faire des tonnes, elle ancre l'espionnage et les scènes d'action dans un rythme prenant. Jamais ennuyant, toujours en mouvement, Brian De Palma laisse le spectateur être pris au jeu sans l'attirer de manière grossière par des artifices outranciers. Une réalisation sobre qui vient pourtant récompenser le spectateur d'action traditionnelle en lui offrant pourtant une scène finale sur un train des plus spectaculaires, et autant le dire tout de suite, absolument pas crédible ! Mais si l'absurdité des scènes d'action systématiques depuis quelques temps me sort de plus en plus des films d'action, l'arrivée de cette scène à la fin du film apparait tout simplement comme l'apothéose d'un crescendo savamment maîtrisé. On accepte alors gracieusement cette petite cerise, qui n'est pas nécessaire mais qui fait toujours plaisir.


Certains regretteront peut-être cependant cette dernière scène car elle amorce enfin la troisième trahison de la saga cinématographique des M:I. Après ce premier opus, l'identité de la saga se verra finalement quasiment réduite à ce goût du spectaculaire démesuré, suivant alors la mode des James Bond de l'ère Brosnan. Ce premier opus est donc une oeuvre bien à part parmi la série de films qui en découla. Objectivement le meilleur film de la série bien que le cinquième et dernier opus en date, Rogue Nation, soit celui qui incarne avec le plus de brio le nouvel esprit né de la franchise.


D'un autre côté, on peut alors voir ce premier opus comme un parfait passage de flambeau avec en début de film une première scène d'action avec Jim Phelps typique de la série télé, puis en milieu de film une deuxième scène d'action plus cinématographique et intense sans Jim Phelps comme une remise en question de l'aspect télévisuelle, et enfin à la fin du film une dernière scène d'action spectaculaire marquée par la mort de Jim Phelps et consacrant la nouvelle identité de la saga.


Je conclurai en digressant quelque peu. La maitrise du rythme, régulier dans son crescendo, faisant monter la tension en passant petit à petit du sobre au spectaculaire, devrait servir de modèle aux blockbusters d'aujourd'hui s'embourbant trop souvent dans la démesure. Cette maîtrise est bien l'atout premier du réalisateur. Un réalisateur dont je reconnais le talent, mais que je n'apprécie pas particulièrement pour autant. Cette erreur qu'il fit à propos du personnage de Jim Phelps, c'est une erreur de fond, et régulièrement ces films manquent d'une pertinence fondamentale selon moi. De De Palma, j'ai ainsi donc pu adorer d'un côté "Les incorruptibles", détesté "Passion" et "le Dahlia Noir" ou encore resté insensible devant " Carrie au bal du diable" (pour ce dernier, je n'apprécie pas spécialement le genre, il faut dire), mais j'ai toujours apprécié le rythme, la construction, de ces films.

Vyty
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le 8 sept. 2016

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Vy Ty

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