Mom ! Mom ! Mom ! Mommy ! Mommy !

Sorti le 8 octobre 2014, « Mommy » est le 5ème long-métrage du réalisateur québécois Xavier Dolan. Quelques mois après le désastreux « Tom à la ferme », adaptation d'une pièce de théâtre éponyme, Dolan retourne à un cinéma qu'il affectionne, à des thèmes qu'il maîtrise, afin de livrer ce qu'il considère comme son œuvre la plus complète. Nommé à Cannes cette année là, le jeune réalisateur ne parviendra cependant pas à rafler la Palme, devant se contenter du prix du Jury, qui est également décerné à Jean-Luc Godard.
Après la tentative hasardeuse d'un cinéma différent de « Tom à la Ferme », que vaut ce si rapide retour aux sources incarné par « Mommy » ?


Un air de déjà-vu vogue quelque peu au-dessus du long-métrage tant les ressemblances avec « J'ai tué ma mère » sont évidentes. Bouclant la boucle, Dolan a pour volonté ici de venger la mère qu'il assassinait dans son premier film. Pour autant, bien que le Québecois ait acquis un peu de maturité entre son premier essai et « Mommy », certains défauts persistent, tant dans l'écriture que dans le montage.


« Mommy » nous raconte l'histoire d'une veuve (Anne Dorval) héritant de la garde de son fils (Antoine-Olivier Pilon), un adolescent impulsif et violent, et qui va tenter de surmonter le comportement de ce dernier et de joindre les deux bouts. Dans cette entreprise, elle va recevoir l'aide inattendue de leur voisine enseignante (Suzanne Clément), en congé sabbatique pour des raisons mystérieuses.
Le prisme de la relation mère-fils est ici différent de celui adopté dans « J'ai tué ma mère ». Loin d'une relation prise sous le point de vue du fils frustré par l'autorité quasi-dictatoriale d'une mère incomprise, il instaure ici une mère perdue face à la violence du comportement de son fils. Les pouvoirs s'inversent donc, l'enfant devient dictateur presque inconsciemment et la mère emprunte davantage au registre de la victime. Pour autant, les tenants et les aboutissants sont parfois les mêmes entre les deux œuvres de Dolan, le but étant comme bien souvent la catharsis entre les deux protagonistes. L'histoire qu'il nous raconte ne manque donc pas d'intérêt puisque il s'agira d'observer l'évolution de cette relation entre une mère et son fils qui, même s'ils n'ont plus l'habitude de se côtoyer et ne sont sans doute pas compatibles, s'aiment par dessus tout.


Hélas, 5 ans après « J'ai tué ma mère », Xavier Dolan réitère encore des erreurs, des maladresses. 5 ans c'est peu dans la vie d'un réalisateur, surtout lorsqu'il est aussi jeune. La maturité s'acquiert parfois sur une décennie, voire plusieurs. Il est aisé de penser au cinéma de Scorsese qui n'a eu de cesse d'évoluer au fil des ans, ou encore au perfectionnement incessant de l'art d'un Paul Thomas Anderson. Cependant, lorsqu'on pense à un réalisateur qui livre peu ou prou deux fois le même film en 5 ans, on espère quelque part voir certains défauts s'estomper entre les deux.
Ici, Dolan s'entoure d'une équipe d'acteurs qu'il connaît. A l'image de son quasi homonyme Christopher Nolan, il aime se tourner fréquemment vers les mêmes personnes, développant avec celles-ci une alchimie particulière qui transparaît à l'écran. Ainsi, le réalisateur avait déjà travaillé à trois reprises avec Anne Dorval qui interprète la mère Després (J'ai tué ma mère, les Amours Imaginaires, Laurence Anyways). Par ailleurs, son jeune turbulent se voit incarné par Antoine-Olivier Pilon, que Xavier Dolan avait déjà dirigé dans un clip d'Indochine, et il ne faut pas oublier l'excellente Suzanne Clément ayant déjà collaboré avec le réalisateur deux fois (Laurence Anyways, J'ai tué ma mère). Cette proximité dans l'équipe, si elle reste sous certains angles une qualité, est tout de même révélatrice d'une certaine paresse du Québecois.
Ce qui choque le plus dans cette paresse, c'est l'écriture. L'écriture du récit d'une part, mais aussi l'écriture des personnages. Entouré du casting qu'il connaît, Dolan va alors miser sur l'émotion pure que ses acteurs peuvent dégager. Il sait les diriger, il sait obtenir d'eux ce dont il a besoin, il sait en disposer et magnifier leur jeu grâce à sa caméra. Certes, il sait tout ça, cependant il ne sait pas encore leur écrire des rôles. Les forces, les faiblesses des protagonistes, leurs intentions, leurs motivations ne sont que rapidement évoqués. Aucune profondeur n'est véritablement apportée à l'écriture de chacun d'eux : il est l'adolescent turbulent, elle est la mère perdue et l'autre la voisine énigmatique. Point. A aucun instant ça ne va plus loin au cours des 2h19 du film. A aucun instant, le rôle du mari de la voisine sera approfondi, ni celui-ci du voisin épris de la veuve Després. Rien, aucune richesse. Et c'est là sans doute le plus gros défaut de Xavier Dolan : il fait ce qu'il sait faire, il le fait bien, très bien même, mais n'apprends jamais de ce qu'il ne sait pas faire. Comme dans tout ses long-métrages précédents le film tourne autour d'un maximum de trois personnages, à l'écriture déjà pauvre, mais doublé d'un récit à la plume encore plus incertaine.
C'est à la fois la force et la faiblesse de son cinéma : on ne filme pas une histoire particulière formée de ses péripéties, de ses rebondissements et de ses conclusions. Non, on filme un extrait de vie. Ici, pas de tournants forcés à l'histoire, à l'instar d'un Laurence Anyways, film-fleuve de quasiment trois heures, on relate simplement la vie des personnages, comme on relaterait la vôtre. Cette simplicité sert véritablement le propos et même l'image que Dolan veut apporter à son film, mais met également en exergue ce qui manque encore à sa panoplie de cinéaste : l'écriture d'un véritable écrivain. S'il sait magnifier l'image avec une caméra, il doit encore apprendre à magnifier l'histoire avec sa plume.


Le récit se fait donc parfois longuet, erratique, mais toujours l'attention du spectateur reste concentré. A aucun moment, malgré les errements et les scènes maladroites (parfois jusqu'au montage abrupt), la lassitude ne s'instaure. Ce qui nous tient en haleine ? Le savoir-faire de Dolan. Car le réalisateur ne manque pas de talent et il le sait. Jonglant entre un format 1:1 et un format 16:9 plus classique, il retourne à des codes cinématographiques qu'il affectionne. Même si le premier passage de l'un à l'autre via Antoine-Olivier Pilon qui écarte les bras pour en même temps ouvrir le format est plus que maladroit voir carrément kitsch, ce jeu entre l'enfermement visuel et l'ouverture de l'image reste maîtrisé. Moins subtil et métaphorique que « Laurence Anyways »,  « Mommy » laisse tout de même traîner ça et là quelques pépites, ces instants de cinéma qui nous font nous émerveiller, qui nous mette la larme à l’œil et qui, surtout, nous transporte.
Ces instants sont grandement basés sur une bande-son irréprochable. De Céline Dion à Lana Del Rey, tout les choix musicaux sont judicieux, apportent une grandeur et une richesse au film et sont révélateurs de ce que Dolan sait faire de mieux : filmer en musique. En ces instants, l'écriture ne peut pas être lacunaire, seule compte l'image, seul compte le talent incroyable du québécois et les émotions qu'il exprime avec la plus grande justesse. Point culminant du film, l'envolée onirique de Dolan sur le doux « Experience » de Ludovico Einaudi. Un passage brillant, moment de flottement où le Québecois fait montre de tout son brio. Il demeure également à mes yeux la plus belle scène réalisée par lui, tout films confondus.


Au final, Mommy est un diamant. Imparfait par endroits, symptomatique d'un réalisateur qui a encore beaucoup à apprendre, il n'en reste pas moins étincelant tant il déborde de bonnes intentions. Jusqu'à la dernière seconde, il cherche à émouvoir, déplaçant le 7ème art hors de certains sentiers connus, le replaçant pour ce qu'il devrait être : la volonté de donner, de partager toujours plus avec le spectateur, cette émotion qui nous fait dire : « Putain, c'est beau le cinéma ».

Samuel_C_
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les films qu'il faut absolument avoir vu (avis partiellement subjectif)

Créée

le 9 mai 2015

Critique lue 362 fois

2 j'aime

3 commentaires

Samuel_C_

Écrit par

Critique lue 362 fois

2
3

D'autres avis sur Mommy

Mommy
HugoLRD
10

Liberté. Claque. Monument.

Je n'arrive pas encore à pleurer. L'état dans lequel j'étais, après cette dernière image époustouflante, ne veut pas s'en aller. Un tourbillon intérieur incroyable, quelque chose de viscéral, qui...

le 27 sept. 2014

172 j'aime

19

Mommy
Clairette02
9

Cause you and I, we were born to die

Dolan, tu as réussi à me faire aimer Céline Dion. Dolan, tu m’as fait verser à peu près 15 litres de larmes en 2h.
 Dolan, tu me ferais presque aimer le mot « tabernacle ». Dolan, tu méritais la...

le 4 oct. 2014

161 j'aime

25

Mommy
Gand-Alf
8

Prisoners.

Prix du jury au festival de Cannes en 2014, Mommy permet à Xavier Dolan d'être le second plus jeune cinéaste à remporter ce prix, juste derrière Samira Makhmalbaf, réalisatrice du Tableau noir en...

le 20 oct. 2015

125 j'aime

5

Du même critique

Dracula
Samuel_C_
5

Encore un peu bleu cette cuisson.

Nouvelle année, nouvelles séries. Netflix offre à Moffat et Gatiss le budget pour revisiter l'histoire (pourtant déjà poncée jusqu'à la moëlle) de Dracula. Vous l'aurez compris, l'heure est aux...

le 5 janv. 2020

21 j'aime

2

Messiah
Samuel_C_
6

Intéressant, Messie prévisible.

Le moins que l'on puisse dire c'est que Netflix, autant en termes de films que de séries, est prolifique. Sous la loupe aujourd'hui : « Messiah », le thriller...

le 5 janv. 2020

11 j'aime

Le Hobbit - La Bataille des Cinq Armées
Samuel_C_
5

Le Hobbit : La Bataille des Cinq Armées

Cette année est importante pour les fans d’héroïc-fantasy. En effet, Peter Jackson tire sa révérence à la Terre du Milieu avec son dernier long-métrage adaptant les histoires de Bilbo : Le Hobbit, la...

le 14 déc. 2014

11 j'aime

3