Il y a des films que l'on se prend en pleine figure, sans y être préparé et sans aucune accointance avec le sujet de base du scénario. Des préoccupations qui ne nous touchent pas directement, bien loin de notre expérience et de nos soucis personnels. Grâce à une scène, un personnage ou plus simplement le talent du cinéaste, un propos qui n'est pas le nôtre est assimilé, compris et vécu par chaque fibre de notre intellect. Mommy est de cette trempe là.


C'est une bombe émotionnelle. Un film rempli d'amour. Qui va plus loin que celui d'une mère et son fils.
C'est l'amour avec un grand A. Un amour vivant et expressif, comme le cinéma. Aux milles et une ressources. Le passionné. Avec ses airs désabusés et ses réconciliations. Sa tendresse, et la violence de ses revers. Ses "je t'aime", et ses "moi non plus". L'amour d'une femme, veuve, aux allures d'adolescente dépassée par la vie d'adulte qu'elle doit poursuivre. "Die", qui navigue entre espoir et détresse. Et celui de son enfant Steve, anxieux, violent et hyperactif. Autodestructeur. Qui ne sait montrer ses sentiments autrement que par la colère qui le possède. Qui cherche à attirer l'attention d'une mère trop peu réceptive à ses sensibleries.
Mommy, c'est donc l'amour impossible. Celui qui te porte, et qui te tue. Le dommageable. Qui fait crier. Qui fait pleurer. Celui qui t'explose à la face. Qui te sonne, te perturbe et qui t'enivre. Te manipule aussi, comme le film, par ses effets pop et flamboyants, qui conjurent la charge dramatique et le pathos pour rendre dérisoire ses contre effets pervers.
Mommy, c'est l'amour contre le reste du monde.
À cet amour, vient s'ajouter le personnage de Kyla, voisine du couple maudit, qui va s'abandonner dans cette famille. Renfermée sur elle même, son manque de confiance en soi est tel qu'elle n'arrive plus à communiquer avec ce monde qui l'oppresse.
Ensemble, ces trois âmes orphelines illustrent une autre thématique importante du film: celle de ceux qui vivent en marge de la société. À leur échelle. Ceux dont les existences sont bornées par des contraintes. Qui font semblant, qui n'arrivent plus à interagir, et qui se retrouvent et se réconfortent grâce à une sensibilité commune. Dans une belle et folle immaturité. Ainsi, pour servir cette autarcie, Dolan leur offre ce format 1.1 au plus près des corps et des visages, cette photo de famille, cet écran carré mettant en valeur leur désarroi. Ne laissant pas de place aux décors, et symbolisant l'enfermement de ses personnages à bout de souffle, qui monologuent. Mais libérant et magnifiant toutefois ses comédiens impressionnants de justesse et de naturel. Car oui, Mommy est avant tout un film d'acteurs, qui permettent de maintenir la tension pendant plus de deux heures, à travers accélérations et accalmies. Antoine Olivier Pilon est renversant. Il peut inquiéter, prêter à sourire et bouleverser dans une même scène. Anne Dorval et Suzanne Clément, qui soufflent l'exubérance et la retenue, sont épatantes. Enfin, quatrième personnage chorale à part entière, la musique, héritage du père disparu quelques années plus tôt, est quand à elle décisive et moteur de l'action, au détour d'une parenthèse. D'une ivresse partagée, d'une utopie. Ou d'une imposture.


Pour toutes ces raisons, Mommy est une excellente épopée dans l'infiniment petit, un voyage à travers la sensibilité des personnages mais aussi celle du spectateur, directement impliqué dans cette lutte incessante contre le déséquilibre affectif qui nous guette, tous. Loin d'être un film parfait, Mommy offre une myriade de petites portes entrouvertes sur la façon de décrypter un être humain, de le construire et de le déconstruire, parfois avec maladresse et sans finesse, mais toujours avec une authenticité qui se fait de plus en plus rare dans notre cinéma contemporain.

Marinelle
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le 24 août 2017

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Marine  Notule

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