Une fille et un garçon se rencontrent. Ils tombent amoureux. Ils se marient et ont beaucoup d’enfants. Ce récit, nous l’avons ressassé des centaines de fois, dans les comédies romantiques à l’eau de rose comme dans toutes les grosses productions du monde entier. Pourtant, dans Mon Roi, et comme toujours chez Maïwenn, il y a quelque chose en plus. Une étincelle, un tremblement, une fulgurance. Une vibration si forte qui nous fait dire que l’histoire d’amour de Tony et Georgio ressemble bien plus à la vie qu’au cinéma.


Dans une volonté quasi-naturaliste, Maïwenn ne triche pas. Sa caméra se pose entre ces deux individus déterminés à faire vivre leur relation malgré les difficultés, et les filme sans faux-semblant, presque sans pudeur. Elle, Tony, avocate sensible et passionnée, n’imagine pas son couple autrement que de manière traditionnelle : mariage, enfant et vie commune doivent être de mise. Lui, Georgio, restaurateur excessif et beau parleur, se montre plus moderne : il revendique son autonomie, prône l’indépendance de chacun dans le couple, quitte à briser les certitudes de sa compagne. Les sentiments transpercent l’écran, la sincérité émotionnelle nous touche en plein cœur. Impossible de ne pas croire une seconde à cet amour destructeur où rien n’est lisse, où tout se vit pleinement, la passion comme la haine, la joie comme la déception, l’euphorie comme le chaos.


Car chez Maïwenn, la vie n’est jamais un long fleuve tranquille. Dans Polisse, le montage alternait vie professionnelle et quotidien familial des protagonistes, pour former un tout à la fois complémentaire et inconciliable. Dans Mon Roi, c’est dans une succession de scènes drôles, romantiques et explosives que la réalisatrice parvient à échapper aux clichés, à montrer ce couple dans toutes ses désillusions et ses persistances. Cette histoire est présentée en plusieurs flash-back, telle une rétrospective depuis l’esprit de Tony, qui a intégré un centre de rééducation après un accident de ski. Son genou est brisé autant que son âme, et les deux événements semblent d’ailleurs liés d’une façon tragique. Ce séjour, elle le consacrera à un retour en arrière, à regarder sous un autre angle cet amour qui l’a tant éviscérée, pour pouvoir enfin accéder à la résilience, physique comme sentimentale.


Pourtant, lorsque la fin de la rééducation se montre en parallèle à l’ultime bataille passionnelle, le genou est peut-être guéri, mais le cœur ne l’est pas totalement. La caméra, incarnation du regard de Tony, balaye le visage, le cou, la chair de Vincent Cassel, comme une caresse. Ces tendres plans viennent signifier que, malgré les épreuves, les trahisons et les verres brisés, cet homme, avec qui Tony a partagé dix ans de sa vie, lui restera éternellement familier, demeurera à jamais une partie de son être. Le temps a peut-être coupé les liens qui unissaient les deux amants, mais il n’a pas effacé les souvenirs. Car dans une société où tout se consomme et se consume, même l’ardeur des sentiments, ce couple fictionnel paraît authentique jusque dans sa séparation.


Une fille et un garçon se rencontrent. Ils tombent amoureux. Ils se marient et ont beaucoup d’enfants. Mais entre temps, ils se détruisent. Comme le disait François Truffaut, « si on fait un cinéma affectif, on ne peut filmer que des déchirements. » Voilà donc le secret des plus belles romances cinématographiques : échapper à la dictature des sentiments codifiés, aux pièges des rencontres prévisibles et à la monotonie d’un amour fade. Pour Maïwenn, le cinéma est comme l’électrocardiogramme dont parlent ses personnages : de la débâcle des sentiments naissent les pulsations du cœur.


© airsatz.wordpress.com

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le 11 mars 2016

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Amy  Furler

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