Dans mon pays, en 1894, un capitaine de l'armée française a été injustement accusé d'espionnage au profit de l'empire allemand, condamné pour trahison, dégradé devant ses pairs et déporté au bagne de Cayenne. Il a été livré à la vindicte de tous, non pas tant pour sa trahison supposée que parce qu'il était de confession israélite.


Dans mon pays, des hommes et des femmes ont exulté de voir un juif épinglé quand d'autres hommes et d'autres femmes se sont insurgés contre l'ignominie.


Dans mon pays, en 1940, une loi « portant statut des juifs » , une autre traitant du «  statut des ressortissants étrangers de race juive » furent édictées. La première, pour définir de manière précise qui est juif et qui ne l'est pas, puis interdire l'exercice de certaines professions à ceux qui répondraient aux critères ainsi énoncés, la seconde pour regrouper les étrangers devenus suspects et indésirables.


Dans mon pays, en 1940, Aristide de Sousa Mendes, consul du Portugal en poste à Bordeaux, a délivré des milliers de visas à des hommes et des femmes cherchant à quitter la France pour se protéger de la traque antisémite ou simplement politique qu'ils devinaient proche.


Dans mon pays, des hommes et des femmes, qui ont fui l'Allemagne aux mains des nazis et cru trouver refuge dans le pays des Lumières, ont été arrêtés, parqués dans des camps d'internement avant d'être remis à leurs bourreaux.


Dans mon pays, des hommes et des femmes ont choisi de faire ce qui devait être fait en soustrayant, protégeant, cachant, au péril de leurs propres vies, des enfants et des adultes de confession israélite pour leur éviter le pire.


Dans mon pays, des fonctionnaires de police ont organisé sur ordre une rafle à grande échelle de compatriotes juifs et de juifs réfugiés pour les concentrer dans un stade vélodrome avant qu'ils ne soient triés, envoyés à Drancy rejoindre ceux qui étaient déjà en partance pour les camps d'extermination nazis en Pologne.


Dans mon pays, des fonctionnaires de police ont passé la nuit de la veille de cette rafle à faire du porte à porte pour prévenir les intéressés du crime qui se préparait.


Dans mon pays, des hommes et des femmes ont mis la main sur des biens immobiliers et mobiliers par le vol et le pillage ou par achat à des prix dérisoires en profitant de la faiblesse et du désarroi de ceux que le Régime de Vichy se préparait à remettre aux nazis.


Dans mon pays , entre 1940 et 1944, Rosa Antonia Valland, attachée de conservation au Musée du Jeu de Paume a tenu, le jour au jour pendant des années, un inventaire précis des pillages de musées et des spoliations oeuvres d'art par les nazis qui dépossédaient des juifs puis les déportaient.


Mr KLEIN de Joseph Losey présente en inauguration une des scènes les plus violentes qu'il m'a a été donné de voir au cinéma qui pourtant n'en est pas avare. Il y a des mots, il y a des gestes, il y a des regards qu'on ne peut oublier, qu'on ne peut pardonner et qui ne peuvent que renforcer notre détermination.


"Gencive bombée...léger prognatisme...narines arquées...espace nasal normal...cloison très abaissée...lèvre inférieure charnue...front étroit...implantation des cheveux basse...cheveux gras, épais, luisants...oreilles normale sans soudure de lobes...paupières supérieures...légèrement tombants...teint basané...expression générale de faciès légèrement judaïque...hanches naturellement larges et flasques... plantes des pieds plates... absence totale de cambrure.
D'après l'ensemble des données morphologiques et de comportement, le sujet pourrait appartenir à la peuplade de race sémite, soit d'ascendance judaïque, soit arménienne, soit arabe. En conséquence le cas est considéré provisoirement comme douteux.
Les résultats de l'examen seront envoyés par la préfecture de police.
"


Robert Klein/Alain Delon est un homme jouisseur, ayant le sens des opportunités et totalement dénué de scrupules. Il achète à vil prix des œuvres d'art à des membres de la communauté israélite qui ont besoin de liquidités rapidement afin de se soustraire aux menaces que le régime de Vichy allié à l'Allemagne nazi fait désormais peser sur eux.


A Paris vivent deux hommes portant le même patronyme et le même prénom. L'homonyme du premier n'apparaîtra jamais sur l'écran. La « rencontre » entre les deux hommes repose sur ce qui semble être une erreur d'adressage d'un abonnement à une publication. Nous approchons l'autre Robert Klein à travers la concierge de l'immeuble dans lequel il vit, par une photographie prise de loin sur laquelle on ne le reconnaît pas vraiment. Nous le découvrirons partiellement à travers des amis qu'il fréquente, d'une femme qui l'aime et d'une autre qu'il aime. Nous connaîtrons son chien et entendrons sa voix.


Le fichier des abonnés de la publication Informations juives est entre les mains de la préfecture de police et pour rectifier l'adresse c'est là qu'il faut s'adresser. C'est ainsi que l'un des Robert Klein, celui qui est interprété par Alain Delon fera la connaissance du fonctionnaire de la préfecture s'occupant des affaires juives. Cela facilitera les mesures à venir quand, pour appliquer les lois anti-juives, il faudra retrouver rapidement ceux qui en relèvent pour mieux organiser la spoliation par l'Etat et la déportation.


Robert Klein veut absolument retrouver son homonyme pour pouvoir apporter la preuve que c'est ce dernier qui est juif. Simultanément, il se rend en Alsace pour rassembler les actes de naissance de ses grand-parents maternels et paternels afin d'attester qu'il est bien français et catholique de toujours, sans ascendance suspecte. Tout le film tourne autour de cette obsession. Joseph Losey laisse planer un doute en un premier temps. L'homonyme existe-t-il vraiment où s'agit-il d'une vengeance ? L'homonyme a-t-il usé d'un stratagème pour brouiller les pistes et faciliter sa propre clandestinité ? Losey nous entraîne peu à peu dans un théâtre d'ombres et cela jusqu'aux dernières minutes du film. Les deux Robert Klein sont arrêtés, enfermés au Vél d'Hiv et déportés sous le regard d'un de ceux que le profiteur de guerre a spolié. Admirable Jean Bouise qui campe cette victime toute en fatalisme et en ressentiment.


Si nous suivons pas à pas la recherche de...Robert Delon, il ne s'git pas vraiment d'un thriller mais beaucoup plus d'un film d'ambiance, d'ambivalences et de témoignage d'une période noire de notre Histoire.


J'ai vu le film de Joseph Losey à sa sortie en salle, je l'a revu plusieurs fois depuis. Je le revois toujours comme une piqûre de rappel. Piqûre de rappel pour ce qu'il montre ou suggère mais également en raison d'un moment trouble vécu un jour, alors que je ne m'y attendais pas.


Le lendemain d'une rediffusion à la télévision, un collègue m'apostrophe : " Je peux te poser une question...." et d'ajouter aussitôt : "...est-ce que tu es juif ? ". J'avais très bien compris : mon homonymie patronymique avec les deux Robert semble avoir jeté le trouble dans son esprit. En soi, cela me paraît déjà être révélateur, mais c'est ma propre réaction qui m'a bouleversé : " Non...non ! " Comme si être juif était honteux.


Par la suite, j'y ai souvent repensé. Peu m'importaient les raisons de mon collègue qui n'a jamais brillé par la finesse de son esprit et la pertinence de ses propos. C'est ma propre réaction qui me laissait songeur.


Quelques années plus tard, dans les mêmes circonstances, une collègue me pose la question dans des termes presque identiques. Je ne suis que surpris à moitié, curieusement, je m'y attendais presque. A la réflexion, je me dis que cela ne pouvait venir que d'elle, qui ne porte dans son coeur, ni les gens du voyage, ni ce qui, à ses yeux, n'est pas très français.


Je lui ai répondu : " Tout dépend. Si tu es antisémite, alors oui, je suis juif. Si tu poses simplement une question qui n'a pas pas lieu de l'être, alors non, je ne suis pas juif ". Je ne suis pas sûr qu'elle ait bien compris ma réponse, mais je suis sûr d'une chose : elle n'a certainement pas eu de réponse à sa question et le doute plane peut-être dans son esprit depuis ce jour.


Le venin dans la plume de Gérard Noiriel. Editions La Découverte. Edouard Drumont, EricZemmour et la part sombre de la République.

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le 10 janv. 2021

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