Des fois, le cinéma prend à contre pied, s’éloignant volontairement de l'ambiance dans le traitement de thèmes à la mode. Lat den Ratte komma in ne déplace pas les montagnes mais rappelle que le cinéma a le pouvoir de retourner l’estomac, crée l’admiration en racontant une histoire qui est capable de transcender les âges et les sentiments.
On pourrait voir dans une énième histoire de vampire et d'humain vivant un amour impossible une lointaine réécriture de Roméo et Juliette. Sauf qu'ici, on suit Oskar, jeune pré adolescent suédois du début des années 1980, qui vit mal, et on le comprend, la violence qui l'entoure. Un père absent, une mère télévore et déconnectée, une absence d'amis, un environnement de banlieue vide et un physique atypique sont le quotidien d'un garçon qui deviendra sous peu un homme. Et si la transition se fait par l'absence, elle se fait aussi brutalement. Oskar va gouter le mal, sa douceur et la libération qu'il procure.
A l’instar de Giono, Alfredson utilise la neige, le froid et l'absence de vie comme décor d'un drame dont la violence apparaît par touche. Au milieu du vide, des silhouettes se dessinent, dans leur solitude nocturne, parfois perdues, mais jamais marquées par la férocité dont ils sont victimes. Jamais le sang n'apparaît au détour d'une tache dans la neige, jamais de graphisme exacerbé, toujours de la retenue, comme si tout devait rester à l’intérieur, éloigné du regard, apeuré par le froid. Parfois les conséquences sont là, mais jamais au titre d’horreur éprouvante, toujours comme témoin du passage de la sauvagerie. Un coup lacérant un visage, un noyé, une immolation, des mutilations, tout reste suffisamment lointain pour n’apparaître que comme un élément narratif.
Car l’intérêt est avant tout dans ce que vivent les personnages. En parallèle de ce qu’ils côtoient, il s’agit surtout d’une histoire d’amour qui naît entre ce qui semble être deux enfants. Tous deux souffrent d’un présent pas forcément joyeux, dont l’avenir paraît incertain. Entre Oskar qui risque de plus en plus de succomber à la violence physique et morale de SA société et Elie qui est condamnée à vivre en marge de LA société, les deux amoureux vont se rejoindre dans le froid de la nuit pour apprendre à se connaître tout en faisant fi des différences qui les séparent. Et même si le monde adulte condamne tout ce qu’ils sont, ils ne peuvent trouver d’autre sortie que de se jeter corps et âme l’un contre l’autre. Car même si leur relation devient limpide assez tôt, si chacun sais ce qu’est l’autre, il n’empêche qu’il s’agit avant tout d’une découverte de l’autre et de soi, d’un témoignage d’un retour à l’innocence perdue et de l’apprentissage de leur vie.
En tout cas, c’est rare de voir une telle ardeur à lier le signifiant et le signifié, même si la lenteur et le vide apparent de film laisse supposer une contemplation très lascive. Car arrivé la fin, il ne reste que l’impression d’avoir vécu une expérience magique, une découverte d’un nouveau monde, telle une aventure fantastique emprunte de magie, de violence et de mystère. Oskar devient le nouvel amour d’Elie et le futur s’ouvre devant eux sans jamais remettre en question le passé recommencé.