Acclamé lors de sa projection au festival de Cannes 2015 dans la section Quinzaine des réalisateurs, Much Loved est frappé d'une interdiction de projection au Maroc, pour atteinte "aux mœurs et à l’intégrité morale des Marocains". Le nouveau de Nabil Ayaouch déchaîne les passions dans son pays, mais aussi ailleurs, avec ce portrait sans concessions sur la prostitution dans son pays. Le film mérite-t'il autant d'attention ? Est-il une simple provocation ou une oeuvre puissante ? La réponse est dans la question mais aussi dans les lignes suivantes.


Dans la ville de Marrakech, Noha (Loubna Abidar), Soukaina (Halima Karaouane) et Randa (Asmaa Lazrak) sont des prostituées. La première est comme une grande sœur, elle dirige cette petite entreprise qui ne connait pas la crise, avec l'aide de Saïd (Abdellah Didane), une sorte de majordome. Elles ont pris en main leurs destins en monnayant leurs corps, mais dans une société ou l'homme reste le dominant, elles ne sont pour eux qu'un simple moyen d'évacuer leurs frustrations.


Le sujet ne pouvait que déranger et face aux diverses situations, cela sera effectivement le cas. Mais Nabil Ayouch n'est pas un réalisateur sulfureux, il filme une réalité qui dérange la société et pas seulement marocaine. La prostitution est un sujet tabou, Hollywood avait fait de Julia Roberts dans Pretty Woman, une princesse de la fin du 20ème siècle. La vérité est bien sur totalement différente, Richard Gere ne va pas venir les sauver et leur offrir la vie dont elles rêvent.


Dès le début, on les voit entrain de se partager une bouteille de vodka, de sniffer de la coke, tout en se préparant pour une soirée dans la propriété d'un richissime saoudien. Noha a pour seul but de prendre le plus d'argent possible, Soukaina de trouver l'amour et Randa semble un peu perdue. Elles ont trois caractères très différents, tout comme leurs rêves. Mais elles ont choisi la même voie, celle de la prostitution.
Nabil Ayouch ne les juge pas, au contraire de leurs familles. Il montre au plus près le quotidien de ses femmes écorchées vives, mais n'en fait pas pour autant des héroïnes. Il est pourtant difficile de ne pas être en empathie face à leurs douleurs. Elles ont fait un choix de vie, mais ce n'est pas sans répercussions sur leur entourage. La morale, mais surtout l'hypocrisie d'une société n'acceptant pas de regarder la réalité, en font des pestiférées reniées par leurs proches. Elles sont pourtant en demande d'affection et tente de l'acheter en donnant de l'argent à leurs parents. Elles veulent les sortir de la misère, mais face à la pression sociale, à ces voisins qui parlent sans savoir, on les rejette. L'alcool et la drogue sont un moyen d'affronter la réalité, tout en oubliant un peu cette cassure.


Le film est sombre, cruel et violent. On est souvent mal à l'aise, devant la réalité des faits. Au premier abord, elles sont vulgaires et on les juge sur leurs apparences, mais aussi sur leurs danses explicites. Les hommes les traitent comme du bétail et elles semblent accepter cela en se prêtant à des jeux mettant au plus bas leurs fiertés. Il faut les voir à quatre pattes en miaulant ou se roulant au sol tout en arrachant les billets qu'on leur jette. Au fil du récit, on va apprendre à les connaitre, à voir leurs fêlures dans leurs regards. Elles sont fortes et fragiles à la fois, soumises au bon vouloir de l'homme, attendant un appel pour amasser des liasses de billets. Elles font preuves de solidarité et d'humanité, en invitant à dîner un enfant déambulant entre les tables d'un restaurant et vendant aussi son corps....Elles vont faire de même pour une femme enceinte, Hlima (Sara Elmhamdi-Elalaoui), mais aussi avec leurs amis travestis, eux aussi rejetés par leur entourage.


Cette vérité qui dérange, qu'on refuse de voir, se déroule loin des regards, souvent la nuit dans des lieux où l'alcool et l'argent coulent à flots. Marrakech attire les européens, en mal de frissons, se croyant tout permis, oubliant leurs statuts d'hommes mariés en se comportant comme des animaux en ne respectant pas ces femmes. Une ville où la misère se voit dans les rues, où l'amour semble avoir disparu et où seul l'argent semble avoir de l'intérêt à leurs yeux. Les prostituées affluent dans cet épicentre touristique, où les riches saoudiens semblent être une porte de sortie pour un avenir meilleur.
Elles rêvent d'épouser un homme riche ou d'avoir leur propre affaire. Elles ont des envies d'ailleurs, mais en attendant, elles font preuve de solidarité entre elles. L'homme reste une source de profits mais aussi d'ennuis, en abusant de leurs positions sociales ou de leurs pouvoirs, pour se soulager en et sur elles.


Après Les Chevaux de Dieu, Nabil Ayouche réalise encore une oeuvre puissante. On ne sort pas indemne de la séance, il y a des mots et des regards qui marquent l'esprit. Ce regard sans concession sur ces femmes est violente et parfois insoutenable. Loubna Abidar est impressionnante, une belle découverte dans la noirceur de cette histoire douloureuse.

easy2fly
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le 17 sept. 2015

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Laurent Doe

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