Huckleberry's looking for love.
Take Shelter ne m'avait pas emballé. L'idée de départ très bonne, le choix du comédien parfait, avaient retenu mon attention. Mais le scénario trop mince et surtout cette caméra très satisfaite des ses propres effets ( ceux-là même qui oublient le coeur d'une séquence, son sens, pour s'attarder sur une beauté creuse ) m'avaient finalement déçu.
Avec Mud, je dois admettre que Jeff Nichols a réussi son film.
Les bords du Mississipi, deux gamins qui font le mur pour s'échapper sur une barque, une ile déserte avec un trésor dessus, des traces de pas avec une croix au talon et la rencontre d'un mystérieux fugitif... pas de doute possible, Mark Twain et son "Huckleberry Finn" est bien la première source d'inspiration du film. On a trouvé pire dans l'histoire de la littérature.
C'est dire si ma curiosité est aiguisée. D'autant que les effets de mise en scène se sont fait plus discrets. Mais que les acteurs, même jeunes sont saisissants, justes, parfaitement dirigés.
La suite confirmera des débuts prometteurs.
Alors passons rapidement sur les défauts du film: quelques insistances du scénario ou de la mise en scène qui soulignent un peu trop ce que le spectateur doit penser, ou quelques longueurs superflues qui délayent parfois l'effet recherché.
Restent d'énormes qualités:
La première, la plus grande, est celle de nous permettre de revivre une période trouble et émouvante, entre deux eaux, une traversée des rives de l'enfance à celles de l'âge adulte.
Avec une île au milieu, où un bateau s'est perché dans les arbres et où l'enfant prêt à croire rencontre l'adulte bonimenteur.
Nous, spectateur, retrouvons cette naïveté ( ou cet idéalisme certains diront ) enfantine qui se confronte à la complexité du monde, à l'absurde de l'existence, à la cruauté de l'Homme parfois.
Mud est un film initiatique, la quête nécessairement vaine d'un gamin qui cherche encore un monde idéal, celui où un homme est prêt à tout pour la femme qu'il aime, prêt à se battre et pourquoi pas tuer. Un monde où toute l'injustice et la violence serait abolies par cet amour idéal, plus beau et plus fort que tout.
Le parallèle entre l'adolescent de 14 ans et le fuyard perdu sur son ile déserte est là pour nous le rappeler, nous vivons tous au milieu de cette contradiction, coincé entre ces deux rives: le rêve et la réalité. Le désir et la crainte. L'idéal utopique et le monde décevant.
Car nous n'épousons pas le seul point de vue de l'enfance. Nichols parvient subtilement à faire sentir tout autant la complexité des relations qui nouent et séparent les adultes que le jeune Ellis côtoie, que son point de vue naïf et touchant de sincérité. D'ailleurs, à sa manière, Mud est peut-être plus naïf encore qu'Ellis.
Nous accédons par ce savant mélange de points de vues à une leçon existentielle: les rêves que nous poursuivons ont beau être des chimères, s'évanouissant sans cesse devant nous, elles n'en sont pas moins les raisons valables que nous avons de vivre, de nous battre, de mourir.
Il y a une saine révolte à refuser que l'idéal ne soit pas. A refuser que le mal, la violence et l'injustice triomphent. C'est une révolte qui nait dés l'enfance. Qui se nourrit de ses aventures, de cette liberté neuve qu'on croit alors totale et absolue, de cette amitié qui s'offre comme ça pour rien, à des inconnus, quand bien même ils seraient des assassins en fuite. Cette révolte qui ne s'éteint pas même après les pires blessures de coeur, de chair ou d'âme…
Il en est ainsi pour tous les personnages de ce film. Pour ceux qui sont parvenus à survivre dans leur quête chimérique, le temps de l'émerveillement reviendra bientôt. Ce n'est peut-être pas si grave de laisser quelquefois, malgré la dure épreuve du temps, triompher cette naïveté.