Grand theft animation : Opération Blackhead

APRÈS SÉANCE


Après le bide pas totalement justifié de Dofus – Livre 1 : Judith, la jeune société de production Ankama Animations n’avait qu’un mot en tête : MUTAFUKAZ, qui signifie « Tu te (re)lèveras » en nyanja (ça ne s’invente pas). Vœu inespéré ou mantra prémonitoire, Mutafukaz a malheureusement pâti d’une production difficile et d’une communication maladroite. Annoncée dès 2011, l’adaptation de la bande dessiné éponyme de Guillaume « Run » Renard n’a trouvé de distributeur en France que six ans plus tard. Un véritable chemin de croix pour cette création originale française privée de subvention du CNC (trop occupé à financer la dernière comédie de Dany Boon…).


Angelino (voix d'Orelsan) zone dans l’austère mégalopole Dark Meat City en Californie. Livreur de pizza la journée, il rejoint le soir la chambre d’hôtel délabrée qu’il partage avec une meute de cafards et Vinz (voix de Gringe), son colloque aussi loser que lui. Un jour plus pourri que les autres, Angelino perd son boulot à la suite d’un accident de scooter, déconcentré par le passage d’un ange nommé Luna. Suite à cet événement, il souffre de maux de tête, se met à voir des ombres étranges et sent une chose en sommeil se réveiller au fond lui. Il semblerait même que d’étranges hommes en noir souhaitent le descendre. Mais qu’est-ce qui se putain de passe !?


Ce résumé pourrait être celui d’un film mi-SF, mi-fantastique, sombre et brutal, développant en sous-texte des thématiques comme la quête de personnalité, la part monstrueuse présente en chacun de nous, ou le racisme. Eh bien, c’est exactement ça ! Sauf que c’est en plus un excellent film d’animation.



SUR LE FOND : 8 étoiles



Pour être vraiment honnête, l’histoire de Mutafukaz n’est pas très originale. L’intrigue de base est celle d’un enfant élu qui se révèle du jour au lendemain comme dans de moult films prophétiques dont Matrix, La guerre des étoiles ou Les Chroniques de Riddick. Étant bébé, le personnage principal survit à une attaque du grand méchant mais ici, Angelino en garde une cicatrice sur les côtes et non en forme d’éclair sur le front… Des années plus tard, c’est ce bébé devenu jeune homme qui stoppera le grand méchant et son organisation maléfique secrète. Bref, du déjà-vu concernant la trame de base. En réalité, c’est davantage le contexte de Mutafukaz qui apporte beaucoup d’originalité et également son style graphique mais on reviendra sur la forme un peu plus bas.


Comme tout quadra qui se respecte, Run a probablement été élevé par le Club Dorothée et la science-fiction des années 80-90. Toutes ces influences se ressentent dans Mutafukaz, les références à la « pop culture » sont en effet légion. Comme le nom de la ville par exemple, Dark Meat City, dont les initiales sont collées un peu partout. Et sur les bus de la métropole, cela donne d’énormes DMC rappelant évidemment la DeLorean Motor Company (peut-être est-ce le DMC-80 resté au stade de prototype). Les voitures des Machos sont quant à elles ornées du MIB indispensable à toute organisation extra-terrestre complotiste. Hormis son nom, la ville de Dark Meat City est fortement inspirée de Los Angeles, ou plutôt de Los Santos la ville fictive de GTA San Andreas. On retrouve même les gangs de Groove Street (blason vert) et de Ballas (blason violet) dans le quartier hostile de Palm Hil.


Les autres références sont nombreuses et offrent au film ce contexte multiculturel, le plaçant entre le comics et le manga, entre le film de genre et la science-fiction, le tout teinté d’influences US West Coast. En ce sens, Mutafukaz est un OCNI rafraichissant et jubilatoire.


Les personnages ne sont pas très développés hormis Angelino, et encore. On n’a pas d’explication sur la raison pour laquelle Angelino, Vinz et Willy ont cette apparence par exemple. Bien évidemment, c’est surtout pour visualiser rapidement qu’ils sont en marge de la société, et ça fonctionne très bien, mais un bref développement aurait pu être intéressant. Surtout pour Vinz et Willy dont on ne connait pas l’histoire, pour Angelino on comprend aisément que c’est dû à son métissage. Mais il est évidemment difficile de condenser six tomes de BD dans un film d’une heure et demie. Quoi qu’il en soit, on s’identifie bizarrement bien plus à ces personnages atypiques qu’aux « vrais humains » qui peuplent DMC. Pas plus de développement côté badguys malgré la badassitude potentielle de Bruce Maccahabee !


D’ailleurs, la scène du complexe maléfique lunaire à la fin sort un peu de nulle part.


Que ce soit les personnages secondaires, les méchants ou même Luna, leur développement n’est ni survolé ni bâclé, mais juste mis de côté afin d’introduire la tonne d’informations nécessaires à la compréhension de l’intrigue. La romance Luna/Angelino par exemple, mise très en avant dans la bande annonce n’a aucune importance ou presque, dans le déroulement de Mutafukaz. On sent que les différentes intrigues secondaires de la BD ont été priorisées de manière à en mettre le plus possible sans tomber dans le pot-pourri incompréhensible. L’art de faire une bonne adaptation en somme !



SUR LA FORME : 8,5 étoiles



C’est excellent, Mutafukaz est une vraie proposition artistique originale. Et je ne dis pas ça (que) par chauvinisme, l’univers de Mutafukaz ayant vu le jour en 1997 en plein dans mon tierquar !


Avec un budget de 5 millions d’euros, la seconde production d’Ankama Animations utilise comme dans Dofus – Livre 1 : Judith, une animation traditionnelle (retravaillée numériquement) au lieu d’images de synthèse. Ici, c’est studio 4°C qui s’en charge et on peut dire que c’est une vraie réussite ! C’est vraiment chouette. Cela donne un style un peu 2D rétro, des dessins très graphiques qui collent bien à l’ambiance solaire du film. Il y a de très bons effets de profondeur, de ralentis ou à l’inverse d’accélérés qui accentuent la brutalité de l’image. Quelques pépites visuelles aussi, des choses que nous n’avons pas l’habitude de voir au cinéma comme les énormes synthés reprenant les questions que se pose la voix-off ou la poursuite en vue 2D style Pac-Man.


Même s’il y a quelques moments un peu lents pendant la cavale, ce sont en réalité de fausses longueurs de manière à surprendre davantage au retour de l’action. Parce que de l’action, il y en a à la pelle : des poursuites à pied ou en voiture, des combats de catch mexicain, du gunfight… Toutes ces scènes sont extrêmement bien rythmées, et accompagnées d’une BO de The Toxic Avenger qui déchire ! Le prix du Festival international du film fantastique de Gérardmer n’est clairement pas volé. Et contrairement à la tentative maladroite dans Deadpool 2, il y a une réelle bonne scène d’action rythmée à la dubstep dans Mutafukaz. Pour en finir sur l’aspect sonore, comment ne pas aborder les très bonnes prestations de doublage d’Orelsan et de Gringe. Ça se sent tellement que les deux potes de Bloqués sont fan de tout cet univers, des mangas, des comics, des animés… A défaut d’avoir de grandes expériences dans le doublage, Gringe et Orelsan le font avec passion. Ça se sentait déjà pour Orelsan sur One-punch man. Avec Angelino et Vinz, ça match, tout simplement.


Mutafukaz a connu une genèse très compliquée. Heureusement, Guillaume « Run » Renard s’est accroché et signe avec Shōjirō Nishimi un bijou d’animation française.


Bonus acteur : NON


Malus acteur : NON



NOTE TOTALE : 8 étoiles


Spockyface
8
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le 21 juin 2018

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