Mais qu'est-ce qui se putain de passe ?

Guillaume Renard, alias Run, l'a fait. Ca y est, enfin. Il a adapté au cinéma sa BD à succès, Mutafukaz. Et pour ça, il n'y est pas allé avec le dos de la cuillère, puisqu'il s'est allié au studio japonais 4°C, qui avait produit, entre autres, la merveille qu'est Amer Béton. Les collaborations franco-japonaises ne sont pas rares en matière de films d'animation, pour le meilleur et parfois pour le pire.


Mutafukaz raconte l'histoire d'Angelino, curieux bonhomme à la tête toute noire, qui vit avec son pote non moins curieux Vinz, dont le crâne à nu est surmonté d'une flamme, dans un appart miteux de Dark Meat City (une sorte de San Andreas de GTA, mais en pire). Un jour où il livre une pizza, il est distrait par une belle inconnue et se mange un camion. Après le choc, il commence à avoir des hallucinations, et des hommes de main semblent vouloir le tuer.


Nous avons donc pour personnages principaux de ce film deux mecs paumés au physique très particulier. Leur apparence semble vraiment hors norme, car les autres êtres humains ont des visages tout à fait standard, à l'exception de leur pote Willy, qui ressemble à un gosse/chat/chauve-souris/raton laveur (rayer la mention inutile). Si l'apparence d'Angelino est expliquée par le scénario, ce ne sera pas le cas pour Vinz. Mais ce n'est pas tant le fait que ce ne soit pas justifié qui m'a posé problème, mais plutôt que leur apparence cartoon/BD ne s'incorpore pas bien dans le style légèrement manga si particulier du studio 4°C.


Les êtres humains de l'univers de Mutafukaz dessiné dans la BD par Run garde un aspect davantage "cartoon occidental", avec des traits relativement ronds, là où les visages du studio 4°C sont très coupés au couteau, bruts et rectilignes. Il en ressort une sorte de contraste qui peut déranger.


Car si l'on se base uniquement sur le travail du studio 4°C, il faut dire que c'est un sans faute. A l'instar d'Amer Béton, Mutafukaz est ultra dense, avec un souci du détail dans les décors qui est à couper le souffle. Les animations donne la sensation, que j'apprécie beaucoup personnellement, que le temps est variable (un mouvement de recul, ou une chute par exemple, va prendre deux fois plus de temps qu'un mouvement de tir). Et les graphistes prennent un malin plaisir à animer avec talent toutes les scènes sanglantes de guerre entre les gangs, multipliant les angles de "caméra" inhabituels.


Mais dès que l'on s'intéresse un peu à ce qui a été dirigé par Run, on ne peut pas ne pas noter de défauts. A commencer par le scénario. Car scénariser une BD est une chose, scénariser un film en est une autre. Le rythme ne peut être géré de la même manière (Mutafukaz souffre de transitions peu fluides avec une avalanche de fondus vers le noir à la manière d'un épisode de Scooby-Doo), et la progression des personnages non plus. Et force est de constater que le long-métrage fait n'importe quoi avec ses actes. La première moitié consiste simplement à mettre en scène Angelino et Vinz qui fuient des hommes de main dans tous les quartiers de la mégalopole, sans savoir pourquoi ils sont recherchés. Simplement des scènes de fuite ou de baston. Et par conséquent, tout le reste est rushé dans la deuxième moitié : le personnage de Luna et son background, les catcheurs (alors qu'ils pourraient avoir une histoire ultra intéressante), le professeur qui ressemble à une version chibi d'Albert Einstein et dont on ignore l'identité, et même les Macho qui ne sont pas plus développés que ça.


Je n'ai pas lu la BD, mais il semblerait que pas mal d'éléments n'aient pas été repris, faute de temps. Mais pourquoi dans ce cas ne pas faire un film un peu plus long et rogner sur les quarante-cinq minutes de course poursuite du début ? On aurait pu parler un peu plus de tous ces éléments cités plus haut (et je suis certain qu'il y avait beaucoup de choses à dire) mais aussi parler un peu plus de la portée internationale qui prennent les affrontements, du risque de guerre entre les USA et la Corée dépeint dans la BD etc.


Ainsi pour apprécier pleinement Mutafukaz, il faudrait faire l'impasse sur son scénario mal rythmé. Et encore. Certes le film jouit d'une BO qui a pris le mot "cool" comme leitmotiv, alternant gangsta rap, electro et grosse dubstep des familles, mais le doublage français laisse également à désirer. Loin de moi l'idée de nier les qualités d'acting d'Orelsan et Gringe, mais jouer et doubler sont deux choses différentes. Et les intonations des deux compères ne collent pas toujours très bien à la situation et aux images. En revanche, elles collent toujours très bien aux vannes qui parsèment les dialogues, Orelsan et Gringe étant habitués à jouer aux branleurs paumés.


Tout n'est pas à jeter, mais j'ai été déçu. Déçu car l'univers dense de la BD n'a été repris qu'en coup de vent, et qu'au final, mettre en avant un doublage d'Orelsan et Gringe pour être bankable ne suffit pas. Après tout, doubleur est un métier à part entière, et si les doubleurs n'étaient que des acteurs recalés aux castings, ça se saurait.


J'ai été déçu car le film fout le sbeul dans ses actes, que ça se ressent et qu'il en pâtit. Déçu car le studio 4°C avait encore pondu quelque chose d'extraordinaire, mais que le reste laisse à désirer.


Il n'empêche que j'ai passé un bon moment devant Mutafukaz, mais il aurait pu être tellement dingue, avec un potentiel pareil. Il en reste un plutôt bon petit film d'animation, qui est passé à côté de l'exceptionnel.


Et si au passage, ça peut permettre à des gens de découvrir Amer Béton, qui jouit des mêmes décors de taré, et qui relate également l'histoire de deux personnages paumés dans la guerre de gangs de yakuza, c'est toujours ça de pris.


Ca se sent que j'ai préféré Amer Béton ? Ah, pardon.

QuentinYuanMalt
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le 4 juil. 2018

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Yuan Cloudheart

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