Quels que soient les reproches qu’on pourrait faire au chilien Pablo Larraín, la tiédeur n’en fera pas partie. Déjà dans son précédent film El Club, un quasi-pamphlet contre l’impunité de certains hommes d’église chiliens pédophiles, il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. La charge était intense, la forme très sombre.
Renouant cette fois-ci avec l’histoire politique de son pays, davantage dans la lignée de son antépénultième opus No, également tourné avec le mexicain Gael Garcia Bernal, Pablo Larraín s’attaque avec Neruda à un biopic d’un genre un peu particulier, qui met en scène le grand poète Pablo Neruda, du moins dans une petite partie de sa vie, les deux années où la police du président Gabriel González Videla l’a traqué et a failli l’attraper, les deux années précédant son passage en Argentine puis à Paris.
Nous sommes à la sortie de la seconde guerre mondiale, fascisme et communisme font rage un peu partout et au Chili particulièrement où Videla, élu pourtant par des communistes comme Neruda (excellentissime Luis Gnecco), alors sénateur, vire sa casaque pour mener une politique d’ultra-droite en jetant en prison des travailleurs communistes par tombereaux. L’histoire est racontée de manière assez troublante, vaguement poétique et vaguement ridicule, en voix off par Oscar Peluchonneau (Gael Garcia Bernal), un policier de fiction de la trempe de ceux que l’on rencontre dans ces magazines pulp, ces mauvais romans de gare illustrés de la première moitié du XXe siècle. Peluchonneau, traité par les paysans du coin de « mi-abruti, mi-con », est le flic que Videla a décidé de lancer aux trousses de Neruda. Ou du moins, ainsi dit la fiction…
Neruda est alors au sommet de son art et au sommet de sa popularité parmi le peuple. Le film est émaillé de certains de ses vers, que sa femme, la peintre Delia del Carril (Mercedes Morán), lui demande de clamer avec « l’autre voix », celle du poète, une voix comme remplie d’autodérision lorsque le personnage s’amuse à l’utiliser, une voix en tout point semblable à celle utilisée par le vrai Neruda dans les mêmes circonstances. Car ainsi va le film du chilien, assez irrévérencieux, iconoclaste même, montrant Neruda sous des facettes plus ou moins flatteuses. On le voit ainsi davantage comme un solide bourgeois amateur de bonne chère et de prostituées dans des scènes orgiaques d’anthologie que comme un authentique prolétaire, prêt à toutes les pitreries, au grand dam de certains de ses « disciples » qui l’accusent de vouloir tirer parti de la traque gouvernementale pour se forger une image immodeste et vaniteuse auprès du peuple.
Pablo Larraín réussit cette gageure d’imprimer à son film une certaine ambiance. Tout comme dans son film précédent, l’image n’est pas rutilante, elle est un peu sale, un peu triste, avec d’étranges flares très visibles par moments, mais tout d’un coup elle baigne dans la lumière éblouissante d’un magnifique paysage enneigé de la Cordillère. Une ambiance fragmentaire, donc, tout comme la poésie de Neruda, qui voudrait, de l’aveu même du cinéaste, traduire davantage le rythme de cette poésie que la vie de Neruda lui-même.
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Non dénué d’humour, avec les facéties du personnage du grand poète envers le policier joué par Gael Garcia Bernal (déguisement en prêtre pour aller au bordel, divers subterfuges pour se rendre invisible, dialogues truculents), Neruda sait également devenir un film sensible, avec notamment cette très forte scène, la plus forte sans doute du métrage, où une femme membre de son parti, passablement éméchée et pourtant extrêmement lucide, lui balance à la tête ses désillusions par rapport à la cause communiste, ou plus exactement par rapport aux dirigeants communistes. Une scène troublante car on ne sait pas exactement si le réalisateur fait sienne cette critique ou pas…
N’ayant jamais tourné plus de trois jours d’affilée au même endroit, Pablo Larraín a produit un véritable road-movie avec son Neruda, mais aussi un film noir, avec cette traque presque surréaliste et de fiction au centre du dispositif. Étrange et beau, son film ne laisse pas indifférent, peut dérouter par moments en raison de son étrangeté même, et confirme le talent et la singularité du réalisateur chilien, un peu poète, lui aussi.
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