La fragilité a un nom : Nina Wu

Nina Wu est un film traitant du machisme ambiant dans l’industrie cinématographique et les tourments que cette pression patriarcale peut causer sur les femmes.
Mais que nous raconte véritablement ce film ? Au départ, bien dans ses bottes, l’oeuvre montre la vie quelque peu décousue d’une jeune femme qui tente de survivre et finit, tel un miracle, par obtenir ce qu’elle désire depuis bien longtemps : un rôle dans un grand film.


Dés lors, on se rend compte que Nina Wu est mal entourée et que les problèmes vont commencer, malgré cette formidable nouvelle. Son agent, Mark, n’est représenté que de dos, alors que c’est la première figure masculine qui interagit avec elle. On ne voit que très rarement son visage et on comprend vite qu’il n’est pas là pour l’aider et qu’il va l'abandonner dans la gueule du loup. D’ailleurs, son agent disparait complètement de la quasi totalité du film.


Nina Wu se retrouve alors a enchaîné les auditions pour ce film. La toute première, celle qui se déroule avec une femme, nous montrera une interlocutrice à l'attitude froide, distante, et j’ose dire masculine. Les castings suivant se feront principalement en présence d’hommes et on sent déjà notre personnage qui plonge lentement dans un cauchemar.


C’est alors que le tournage commence, et Midi Z nous montre tout son talent grâce à de magnifiques plans dans des décors tout aussi splendides. C’est dans ces plans qu’évoluent Nina Wu, qui se verra très vite prise au piège, seule sur ce tournage.


Le réalisateur la méprise et ne la prend que pour un vulgaire objet, allant jusqu’à l’étrangler. La jeune femme reste solitaire devant ses raviolis au boeuf, une barrière s’étant créer entre le staff du film, le remplaçant de son agent et elle.
D’ailleurs, on a la sensation que Nina Wu se complait dans sa dépression, qu'elle ne relève jamais la tête hors de l’eau, même lorsqu’elle finit à moitié noyée lors d’une explosion.


Elle subit, se tait, écoute l’homme, subit deux fois plus, sourit quand on lui dit bravo, et son seul combat est dans sa tête mais n’est jamais réel.
Car Nina est réellement fragile et le peu de bon sens qui lui restait, s’est brisé, à tel point que le film nous montre ses hallucinations. Hallucinations qui sont parfois difficiles à déceler dans la chronologie du film. Plusieurs fois, on se demande s'il s’agit d'un de ses cauchemars ou si tout cela se passe dans la vraie vie. Elle subit sa propre folie et elle ne peut s’en extirper.


Sa folie est représentée par la Fille Numéro 3, qu’elle croise dans ses cauchemars ou peut-être pour de vrai, on ne saurait vraiment le dire. Peut-être que la jeune actrice aime cette folie (cette fille) car la Fille Numéro 3 se transformera d’un coup en son amour de jeunesse et elle ne semble pas effrayée, au contraire.
Le point final de ce film est le viol commis par le producteur et subit atrocement par Nina Wu. Ce dernier évènement éprouvant sera encore une occasion où Nina Wu se taira et restera dans la passivité. Le film se terminera ainsi, sur l’abandon de Nina à la folie, à la bestialité et au patriarcat qui se pense tout puissant.


Jusque là, le film tenait la route : il peignait la situation d’une actrice fragilisée par des années de galère, qui trouvait enfin le moyen de s’en sortir et de briller, au prix de nombreux sacrifices.
Mais le film se perd lors des virées de Nina dans son village familial, avec des histoires qui n’y retrouvent pas leur place. Pourquoi parler de l’opération de sa mère ? Pourquoi parler des problèmes financiers de son père et de sa propre dépression ? Pourquoi revoit-elle un amour de jeunesse qui s’est brisé lors de son départ pour Taipei ? Nina Wu était fragile, nous l’avions compris, mais avec ces nombreuses histoires annexes, on dépeint un portrait bien sombre et ennuyant de la jeune femme. On se demande même comment fait-elle pour tenir encore debout ? Mais non, Nina Wu subit et se tait tout le long du film.


Bien sûr ce film vogue sur toute la période que nous connaissons depuis l’affaire Weinstein et #MeToo. Mais cette oeuvre aurait pu être un véritable cri pour toutes les femmes victimes d’agressions et victimes de cette domination masculine qui transforme les femmes en bouts de viande. Même si le film Nina Wu est déjà un très bon pas en avant pour briser ce silence sur la condition féminine dans le milieu cinématographique, le film se perd dans des histoires annexes inutiles et dans une chronologie décousue. Malheureusement, il n’en reste pas moins grotesque avec cette fragilité accablante de Nina Wu qui ne se transforme jamais en quelque chose de plus agressif, de plus combatif.

cheydarr
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le 10 janv. 2020

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