Ninotchka est une comédie satirique piquante sur le dogmatisme soviétique. La rencontre entre un aristocrate parisien (Melvyn Douglas) et une émissaire du parti communiste russe (Greta Garbo) est l’occasion d’une confrontation entre les deux grands modèles de société coexistant à l’époque. Autant vous raconter la fin : c’est le capitalisme qui gagne. Enfin j’exagère, c’est l’Amour qui gagne, celui qui dépasse les clivages idéologiques et réconcilie les peuples, comme toujours.
Je reviens sur l’histoire. Quand l'envoyée extraordinaire de Moscou Ninotchka arrive dans la capitale, c’est pour recadrer trois de ses "camarades" s’étant un peu trop habitués au confort des hôtels capitalistes en négligeant leur mission - qui était de vendre des bijoux spoliés aux Blancs après la révolution d’Octobre. Ces trois officiels - des quasi sosies de Staline, Lénine et Trotsky - nous livrent une prestation très Monty Python, avec des apartés comiques délicieux, où l’on rit de leur hypocrisie toute communiste à critiquer le capital mais à bien en profiter quand même. Une vingtaine de minutes après le début du film, tandis que le trio est embourbé dans un litige juridique avec la propriétaire des joyaux et son associé, le comte d’Algout, Ninotchka débarque donc à Paris pour reprendre la situation en main.
Là, Greta Garbo campe une parfaite idéologue, inébranlable dans ses convictions, le ton sec, les traits durs, le coeur froid comme un goulag sibérien. Elle dégage un comique radicalement différent de ses comparses. On rigole parce qu’elle croit ce qu’elle dit et dit ce qu’elle croit. Elle démarre fort : "Les derniers procès ont été parfaits, il y aura moins de Russes mais ils seront meilleurs"... et enchaîne devant une boutique de chapeaux : "comment cette civilisation peut survivre en permettant à ses femmes de porter ceci sur leur tête !" On ne peut pas faire plus caricatural, mais après tout, l’URSS n'était rien d'autre qu'une caricature. Refusant tout manichéisme, Lubitsch dressera aussi un portrait assez critique de la superficialité capitaliste. Ninotchka personnifie à merveille le Parti, elle voit la lutte des classes partout, compte les frais d’hôtel en termes de vaches russes et surtout ne sourit jamais. C’est ce dernier aspect que le compte d’Algout, rencontré fortuitement en ville, va tenter de corriger, nous offrant d'autres dialogues croustillants, tellement les personnages sont antinomiques et ne parviennent pas à se comprendre.
Après quelques tentatives infructueuses, Greta Garbo finira par rire à gorge déployée ; et très mal d’ailleurs, elle se force au point qu'on ignore si le réalisateur ne l'a pas fait exprès tellement le jeu d’actrice est mauvais. Une nouvelle déception peu de temps après. Voilà que l’on découvre une Ninotchka transformée, amoureuse, douce, souriante, comme ça, paf, un fondu au noir plus tard. Je n’ai pas trouvé ça crédible, et je n’ai pas non plus apprécié la mièvrerie des violons qui crisseront jusqu’à la fin du film. Il y a là pour moi une rupture qui aura du mal à passer. Certes les répliques continueront de faire mouche - la scène dans le logement communiste, un régal - mais je regrette que l’histoire d’amour ait pris le pas sur tout le reste. Il m'a manqué quelque chose.
Au final, Ninotchka préfère quitter sa patrie pour son amour. Le comte d'Algout a réussi à la convaincre, sans avoir eu besoin d'utiliser de longues argumentations théoriques, simplement en lui montrant qu'il n'y avait qu'un seul type de régime capable de rendre les gens heureux, celui de la liberté.