Hasard de calendrier ? Alignement des astres ? Je ne sais pas. Mais suite à mon visionnage du film Tulpan (Kazakh) j'ai découvert que ce film kirghize était projeté pas très loin de chez moi à Bâle. La ville possède de magnifiques salles cinémas d'art et essais, les kult.kino en tête. C'est comme chez nous, mais en plus classe, plus spacieux, plus confortable, mais malheureusement plus cher (2x environ). L'avantage ? Leurs programmations atypiques qui offrent parfois des films introuvables en France. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le film est projeté en Suisse, bon nombre d'ONG du pays intervenant en Asie centrale.


Hevenly Nomadic nous immerge dans le quotidien d'une famille installée dans une yourte traditionnelle au beau milieu d'une vallée abandonnée. Il va sans dire que les magnifiques plans larges font honneur à ce décor naturel aux strates hétérogènes. Des plaines verdissantes parsemées de roches sombres aux contours abrupts, un cours d'eau prenant parfois des teintes laiteuses, d'imposantes montagnes aux cimes enneigées perçant un ciel bleu éclatant... Oui le titre porte excellemment bien son nom : le col de Chon Ashu est définitivement un paradis sur terre.


Dans cette famille, trois générations se côtoient plus ou moins harmonieusement. Les grands-parents tentent de perpétuer leurs modes de vie traditionnels. Shaiy, leur belle fille a repris en main l'élevage de chevaux suite au décès de son mari, noyé en tentant de sauver un poulain. Sa fille Umsunai est d'ailleurs encore peinée par cette disparition. Ulcan, le frère de Shaiy, est parti en ville étudier l'architecture, mais revient apporter un coup de main le temps des vacances. Non loin de là, Ermak, météorologue dans la force de l'âge, vit dans une maison confortable accolée à une station météo.


Ce que j'aime dans ce film c'est qu'il parvient à dessiner les contours de la menace qui plane sur ces traditions centenaires sans jamais l'ériger grossièrement comme un simple conflit de personnes. Les points de vue contradictoires sont pourtant clairement disséminés. On apprend par exemple que la grand-mère ne considère pas qu'Ermak exerce un vrai métier, pensant que seul Dieu puisse être légitime pour prédire le temps; ou encore que le fils ne voit pas l'utilité du mariage, préférant écumer les discothèques et enchaîner les conquêtes éphémères. Mais les escarmouches restent parfaitement muettes. L'efficacité des regards expressifs double celle de la parole.


Le film bénéficie également d'un enrobage onirique amenant une dimension très poétique. À l'image de la petite Umsunai qui se réfugie dans les légendes des aînés pour refuser de faire face à la réalité. C'est terriblement irrésistible de la voir sautiller et pointer du doigt chaque aigle en pensant qu'il s'agit de la réincarnation de son papa. Je retiens également le rêve quasi prémonitoire du grand-père assorti d'une photographie somptueuse présentant un jeu d'ombres habilement déployées.


La pierre a d'ailleurs une très forte symbolique dans le film. On les extirpe du cours d'eau, source de vie, pour rendre hommage au mort et ne pas l'oublier. On présente aux plus jeunes des gravures ancestrales, témoins d'un temps révolu, mais toujours respecté. On découvre certaines numérotations rouge sang qui présagent l'arrivée des pelleteuses mécaniques qui viendront inexorablement les arracher du sol.



"Laissons-les sauter les montagnes et creuser la terre, il ne restera que les cailloux" dit le grand-père, totalement dépité le projet d'une voie ferrée traversant le col.



Le film s'achève par un plan des trois femmes regardant le départ d'Ulcan et d'Emark pour la ville. Serait-ce un regard de méfiance face à leur avenir ? De défiance face à cette tentation de la modernité ? Le mystère plane, mais une chose est certaine : Heavenly Nomadic est une excellente captation de ce monde en voie de disparition...

GigaHeartz
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le 3 juin 2016

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