Avec quelques réflexions pertinentes mais jamais abouties, et une galerie de personnages pas assez approfondis, Normandie Nue de Philippe Le Guay reste une petite comédie sympathique sur le monde paysan, sans plus.


Pas même une minute trente dans le journal télévisé régional sur France Télévision pour parler du blocage d’une nationale par des paysans en colère, lessivés, fatigués. Un reportage caricatural en prime où un gars de la ville parle des « mains craquelées » des paysans. Philippe Le Guay tente avec ces quelques scènes d’ouverture de nous parler de nos propres clichés, de notre regard de spectateur sur ce monde oublié, celui des « petits » paysans auxquels Hubert Charuel avait déjà consacré un très beau film (Petit Paysan) en 2017. On les retrouve donc indignés dans une salle où ils viennent de regarder le reportage, réunis par le maire de la ville (François Cluzet, très terre à terre), ensemble mais pas forcément unis. Les voix ne s’accordent pas nécessairement sur la manière de faire entendre la voix de ceux qui travaillent la terre, nourrissent (nourrissaient?) les gens et élèvent les futurs steaks ou fromages de nos assiettes. Alors le maire veut une idée forte pour fédérer. D’autres encore évoquent l’utilisation des pesticides, la volonté des paysans d’entrer dans le marché mondialisé, tout en criant à l’étouffement, l’étranglement dans ce même marché. Ceci n’est qu’esquissé avant qu’un vieil homme entonne une chanson qui loue les plaisirs de la terre que ne connaîtront peut-être plus « nos enfants ». Et voilà, emballé, c’est pesé, tout le petit monde paysan que veut décrire Le Guay est croqué en une séquence, c’est un peu rapide. Par la suite, on retrouvera quelques-uns de ces personnages dans des rôles un peu développés, mais guère plus. Car si la volonté du réalisateur est louable, elle est quelque peu bâclée derrière un scénario qui veut trop en faire, tout en ne faisant finalement pas grand chose. Tout ce petit monde va se laisser embarquer dans une idée (un peu) folle : faire une photo nue (d’où le titre) pour un Américain pédant qui déteste la nature. L’idée ? Faire le buzz et avoir une couverture médiatique large, parler d’eux en mieux. C’est alors que la métaphore est filée : puisqu’on est déjà à poil (financièrement), qu’est-ce que ça fera de plus de se déshabiller réellement dans un champ (convoité par deux types à la fois), sans pour autant baisser son froc devant l’oppresseur (les marchés internationaux) ou l’envahisseur (le méchant Américain) ?


Manque de fil conducteur


Avec ce film au scénario très « couru d’avance » (le fils d’un ancien propriétaire d’un studio de photographie revient après quelques années pour vendre sa boutique, mais l’enfant du pays restera-t-il finalement après être tombé amoureux ? Et qui prendra finalement la photo si ce n’est pas l’Américain ?), Philippe Le Guay tente de parler d’une certaine France (les acteurs ont donc mis le paquet pour faire authentique, François Cluzet en tête), laissée depuis bien trop longtemps à l’abandon, écrasée par les dettes mais qui pourtant a la tâche de nourrir (et le mieux possible) le monde. Or, la question qui fâche peut-être est de savoir d’où parle le film : plusieurs fils directeurs et regards (la voix off de la parisienne de 12 ans venue s’installer dans la région avec ses parents, le maire du village, le fils du pays revenu pour « quelques jours » seulement, les Américains) qui ne sont jamais aboutis, approfondis et qui dessinent des personnages un peu trop clichés, creux (le boucher amoureux de sa femme ancienne miss du coin qui refuse qu’elle pose nue) dont les destins se résolvent un peu trop vite à la fin. Mais surtout, à qui parle le film ?


n voulant multiplier les portraits (jusqu’au méchant catho de pharmacien qui ne changera jamais d’avis), le film veut « plaire » à tout le monde, être consensuel et le coup de gueule paysan qu’il pousse perd ainsi de sa force, de son incarnation. Le miroir se brise et c’est une mosaïque de tout petits cris qui se dessine, mais s’estompe surtout. Cette dernière question restera hélas sans réponse tant le film multiplie les bonnes questions et réflexions importantes (sur le traitement médiatique du rapport à la viande, la condition animale, la contradiction à nourrir la terre tout en la détruisant un peu/beaucoup, les choix alimentaires de chacun, mais aussi la souffrance paysanne traitée avec un humour bienvenu mais parfois trop « survolant »… ), mais simplement pour les mettre là, sans les approfondir. Finalement, l’enjeu même du film est balayé à la fin et ne trouve pas vraiment sa résolution. A moins que le but ait été seulement de prouver qu’il était possible de mettre des Normands nus, mais c’est alors bien simpliste, voire décevant. La fin revient finalement à illustrer ce qui est dit depuis le début : ensemble on est plus forts. Oui, certes, mais quelle est finalement la voix choisie par ces gens : poursuivre leurs vies, collectionner les petits bonheurs, s’entraider, et jusqu’où cette voix portera-t-elle vraiment ? En tout cas de Petit Paysan en fin d’année dernière à Normandie Nue début 2018, l’avenir de la qualité alimentaire de notre pays (de notre monde) ne sera pas merveilleuse, le cinéma en a pris conscience et cela donne lieu à des scènes aussi hallucinantes que presque réelles, en tout cas impossibles : que ce soit une vache atteinte d’une fièvre très contagieuse dans Petit Paysan ou un cauchemar d’une Normandie désertique où les vaches se meurent, squelettiques, incapables de survivre et donc de nous aider à survivre. Le cinéma semble donc nous dire « réveillez vous », même parfois un peu maladroitement comme avec Normandie Nue.

eloch
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le 8 janv. 2018

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eloch

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