Comme quoi, les mecs, tout peut arriver à Hollywood. Ou dans un film de Quentin Tarantino.
Surtout dans les films de Quentin !
En même temps, qu'attendiez-vous d'autre d'un type qui a le même prénom qu'une célèbre prison des polars des années 30 à 50, honnêtement ?
Après les tueurs repentis qui citent l'Apocalypse selon St Jean avant de flinguer à tout-va, après les chiens de braqueurs qui tranchent des oreilles en musique et se butent en famille, après l'hôtesse à la Senghor "Femme nue, femme obscure / Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche " qui truande et dézingue le rictus aux lèvres, après le fêlé des grandes routes qui roule à tombeau ouvert, se prend pour Mad Max avant que des p'tites pépés l'envoient se ranger des voitures ad patres, après la Mariée en rut vengeresse qui danse la black mamba avec des Vipères pour faire payer sa note à un vieux pote du même nom en anglais, après le festin babélique du Jews Hunter et des Bâtards et leur chef indien, après le déchaînement de Django, de sa copine germaniste et de son pote teuton de passage chez un paléontologue crânien aux goûts plus que particuliers, et après l'orgie multi-angles de sang et de braquemarts noirs de chaire et d'acier au pays des cow-boys, nous quittons ce monde de brutes pour s'immerger dans les sixties et en particulier en 1969.
Et 1969, petit, vois-tu, c'est une putain d'année ! 1969, c'est ...



1969, année cinégénique ! ##



Et si on se payait une p'tite plongée dans les sixties ?
Le logo de la Columbia des sixties ! Les vieux films des sixties !
Les voitures des sixties !
Les affiches des sixties !
Les décors des sixties !
Les bottes, les mini-jupes et les costards des sixties !
Juste une bouffée d'air frais des sixties, comme si on y était !
Tarantino nous offre une nostalgia 60, un sublime hommage à l'âge d'or du sensuel, de la drôlerie, de la fantaisie et de l'insouciance: l'adolescence du cinéma !
Léo, qui a déjà campé les James Bond pour Stevie Spielberg, se paye le luxe de voler la place de McQueen dans La Grande évasion, dans plusieurs séries réelles ou fictives, Margot joue le karaoké gestuel devant un extrait de Matt Helm pour jauger le plaisir d'un public de l'époque et Aldo l'apache fout une de ces dérouillées à Bruce Lee ! Ah, ce qu'on a envie de les rejoindre dans ces bons vieux métrages, s'incruster comme comme eux dans ces antiques bobines de film ou dans des affiches fictives inspirées des productions de l'époque, jouer les cow-boys, les gangsters ou les James Bond like dans les bras de Margaret Lee (qui aura séduit OSS117, Coplan, Le Tigre, Dick Smart, Rick Dalton ... mais jamais 007 ) !
Le parfum des sixties américaines est envoûtant, la reconstitution exceptionnelle et l'amour pour ce cinéma extrêmement communicatif !



1969, année hippi(e)que !



Et, pour le demi-siècle de 69, Tarantino se met en selle et embarque Léo en Lancaster / Depardieu has been se refaire sur les plateaux du western spaghetti ! Alcoolique et en crise partielle de mémoire textuelle, son Rick Dalton va renaître de ses cendres et virer shakespearien, le tout à travers l'équivalant d'un bêtisier anxiogène, planté à même le film, contournant le 4e mur sans vraiment le briser, à l'aide d'un souffleuse invisible. La narration se fait subtile pour célébrer le pouvoir de l'identification des lecteurs aux héros des livres, montrer que la fantaisie dans la fiction est souvent un bien meilleur reflet de la vie que ne l'est le désir de réalisme acharné. Et quel plaisir de voir se côtoyer héros et méchants, simples acteurs et égaux dans les coulisses ! Le héros jeune premier de Timothy Olyphant (ex- Ghostface, Hitman et antagoniste de Die Hard ) en fanboy excité qui demande à son antagoniste, vieux routard du showbiz, de lui raconter des anecdotes ! La faible jeune demoiselle en détresse de huit ans qui sauve le Bon Gros Méchant larmoyant en l'encourageant et en le félicitant, le Bon Gros Méchant qui s'inquiète de lui avoir fait mal dans le feu de l'action et des projecteurs ! Un grand moment de méta-cinéma sans sortir de la diégèse, un véritable tour de force !
Cow-boy dans l'âme, Quentin laisse aussi le ciné de côté pour faire vivre au Brad, doublure de Léo, l'esprit western hors des plateaux, dans la dure réalité des hippies squatteurs qui vivent en gangs pour promouvoir l'amour à coups de canifs et de colts. Une grande scène digne de Leone ou Corbucci, les pères spirituels de Tintin Tarantino, au suspens quasi Hitchcockien: une scène qui vaut de l'or ! Cependant aussi, une scène symptomatique de l'écriture du bonhomme, que l'on risque de trouver trop verbeuse, trop lente et trop formaliste. Que l'on peut aussi confondre avec du remplissage.



1969, année érotique ! ##



Tarantino et sa belle Margot ont pris le Féérie Boat et la belle ravisseuse bien nommée, Miss Robbie, a même pris le Sexy Boat. On l'aime et la traversée durera les presque trois heures visionnées: elle vaincra tous les maléfices de 69 et des ans 2010 !
69, année érotique, et plus encore dans ce Once upon a time ... in Hollywood !
Mini-short de jeans à gogo, tenues de dentelles rouges transparentes et révélatrices des sordides mais mignonnes petites hippies ou des divas italiennes, d'une part pour les boys, torses nus, musclés et glabres de Brad Pitt et Bruce Lee de l'autre pour les Girls. De quoi donner soif à tout le monde !
"Il fait chaud là, d'un coup !", comme disait le grand Jean au sujet des Liaisons dangereuses.
Mais, attendez, attendez bien, c'n'est pas tout !
Le summum de la classe et du sex-appeal, c'est la traversée d'Hollywood par l'enchanteresse Margot Robbie dans le rôle d'une Sharon Tate, déesse de l'innocence et du désir. Ses bottes blanches sont faites pour marcher ou pour faire courir les hommes à ses pieds et sa courte mini-jupe non moins éclatante, qui lui tombe au haut des cuisses, est un calice à son intime beauté, un piège à mecs, un piège tabou, à faire pâlir de jalousie la Martine Kelly des Grandes vacances !
Plus que belle, cette Sharon Tate remastérisée est craquante de gentillesse, de plaisir dans l'empathie, de désir de partage et de mimiques charmantes, comme lorsqu'elle joue les James Bond mimant la posture au PPK avec ses doigts et faisant la grimace. Plus que belle, elle est combative, du moins dans les films, et apprend les prises de karaté avec Bruce Lee en personne pour en remontrer aux hommes comme aux femmes. Et, ÇA, Quentin, c'est une vérité des sixties tant oubliée que tu ressuscites heureusement, c'est un putain crochet du droit dans la dentition des Phoebe Waller-Bridge, Marlène Schiappa et autres Miss Metoo en mal de domination ! Oui, les Sharon Tate des sixties se permettaient d'être belles, attirantes, en parlaient moins, et collaient des baignes aux malfaisants tout en sachant reconnaître les princes charmants - même les plus gauches. Elles, c'étaient des femmes !



1969, année uchronique (et anti-biopic) !



9 août 1969, dans le monde réel, Sharon Tate, alias Madame Polanski, est sauvagement assassinée d'une quinzaine de coups de couteau par un gang de hippies fous furieux et égorgeurs de "petits cochons". Son voisin, qui écoutait de la musique, n'est pas intervenu, attendu qu'il n'avait rien entendu.
Once upon a time ... in Hollywood ne raconte pas cette histoire, celle de Sharon Tate. L'affiche du film annonce d'ailleurs la couleur, écrasant la femme icône à taille humaine des deux artistes fictifs, Rick Dalton et Cliff Booth. C'est là tout le génie du métrage qui se constitue comme un anti-biopic préférant raconter la descente aux enfers professionnelle d'un acteur vedette et de sa doublure, tous deux inconnus et non dignes d'intérêt pour un biopic à narrer et reconstituer la vie d'une vedette encore adulée de certains spectateurs, disparue prématurément.
Mais le génie subversif de Quentin Tarantino ne s'achève pas sur ce simple déni de biopic. Il se sert de ce détournement pour célébrer les réels pouvoirs de la fiction. Celui, démiurge, d'inventer, de créer des mondes, des films, leurs affiches, leurs vedettes et celui, plus puissant encore, divin, de ressusciter les morts, de tuer ceux qui auraient dû mourir à leur place, de changer l'horreur en beauté. À la fiction, il ne suffit que le sésame de Cocteau, il suffit d'un "Il était une fois" pour effacer les bévues du réel triste et injuste et pour réécrire l'Histoire. À l'aide de sa caméra, comme on le peut aussi à l'aide d'une plume, Quentin Tarantino, cet amoureux fou de Sharon Tate, la ressuscite et inflige une mort cruelle à ses assassins. C'est sa peine de mort à lui. Une peine de mort bien plus productive car elle permet à la vie de suivre son cours telle qu'elle aurait dû le suivre. S'il ne peut le faire complètement dans le monde sensible, du moins aura-t-il pu faire revivre la belle actrice, sa candeur, son caractère doux et enjoué pendant presque trois heures.
Quel plus bel hommage à la fiction que cette démonstration de sa force contre la violence arbitraire, l'injustice et la mort ? Car Once upon a time ... in Hollywood, c'est avant tout un récit de multiples résurrections permises par la fiction. Celle du vieil acteur has been qui retrouve sa voie, qui retrouve goût à la vie, celle d'une amitié sur le point de s'achever tristement, celle d'une féminité oubliée, celle d'un Hollywood disparu, celle de l'une de ses plus fabuleuses actrices. Comme pour dire: "*Vous aussi, filmez, écrivez, pour créer votre propre réalité et l'opposer à la réalité ! Ecrire, filmer, raconter, ce sont des pouvoirs magiques ! Des pouvoirs dont disposent les conteurs et non les super-héros ! Regardez, les mecs ! Putain ! Mais regardez, de tous vos yeux, regardez ! J'ai tué ce démon d'Hitler bien avant l'heure dans Inglorious Bastards et, en échange, je redonne la vie à ce bel ange qu'est Sharon Tate !*"


1969 !
Le 1969 de Quentin Tarantino !
Je ne sais pas si Armstrong y a mis le pied sur la lune, je ne sais pas si Tracy Draco y survit, je ne sais pas si Gainsbourg y chante Année érotique en duo avec sa Jane. Ce que je sais, c'est que Quentin Tarantino y a introduit un miracle.
Que les Dieux le bénissent au-delà des années 2010 !

Frenhofer
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le 15 août 2019

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