Tout d’abord, je me dois d’avertir les lecteurs de cette chronique : celle-ci contient des spoilers, alors, si vous n’avez pas vu le film, n’allez pas plus loin pour le moment !


Je suis sortie très perplexe de ma séance cinéma de Once Upon A Time in Hollywood.


Je n’avais pas de grandes attentes en particulier, donc je me suis vraiment laissé porter par le film. C’est une balade agréable, où les éléments rétro propres à la fin des années 60 fusent, sublimés par une photographie magnifique, un excellent jeu d’acteur masculin (je reviendrai ensuite sur les rôles féminins), la présence de Brad Pitt apporte beaucoup au film. De nombreuses qualités techniques et artistiques, mais la balade est longuette et l’on se traine. On devine (à tort) une des composantes finales : le meurtre de Sharon Tate. Et l’on se demande à quel moment et comment le film va intégrer cela. Cela ne nuit pas à l’appréciation du film, au contraire, mais cela nous mène sans aucun doute vers une fausse piste qui ne peut qu’attiser notre déception, si l’on s’attendait à un film honnête et réaliste qui revisite un événement historique mineur à sensations, à la manière des séries d’anthologie de Ryan Murphy et sa bande, par exemple, qui mêlent habilement la fiction et la réalité pour créer un ensemble cohérent. Comme une saison de American Crime Story, en somme (mais je m’égare totalement). D’ailleurs, ce Once Upon A Time aurait été parfait en série : univers riche, plusieurs fils conducteurs, nombreux personnages qui mériteraient d’être développés un peu plus… Le film est long, mais trop court à la fois. Riche, mais pour moi Tarantino passe trop de fois à côté de la richesse potentielle, au profit de choix personnels (je vais également revenir là-dessus) : toutes ces scènes de (faux) western avec Rick Dalton sont-elles bien nécessaires (à part provoquer des bâillements du spectateur) ?


Si l’on s’attend à un film intense qui confronte des personnages forts et nous montre le revers crade de la médaille brillante « Hollywood », c’est également raté. Car Charles Manson, contrairement à ce que pouvait laisser présager la bande-annonce, n’apparaît que quelques petites secondes à l’écran, la secte de pseudo-hippies meurtriers est dévoilée dans une séquence visuellement plaisante mais pauvre de sens (l'arrivée de Cliff au ranch), et le personnage de Sharon Tate est traité de manière creuse et superficielle. En fait, beaucoup (voire trop ?) d’attention est donnée au personnage de Di Caprio : Rick Dalton, un acteur égocentrique sur le déclin, véritable reflet des angoisses de Tarantino et des personnalités hollywoodiennes. Il pleure parce qu’une petite fille lui dit qu’il est l’acteur le plus doué qu’elle n’ait jamais vu (attention moment émotions à deux balles, te voilà). D’ailleurs dans ces scènes où Di Caprio apparaît, l’on assiste à de véritables mises en abyme : moments de western filmés dans le film, qui malheureusement, ne parleront pas à tout le monde (moi incluse), vu que notre cher réalisateur parle à son public d’initiés et à ses cinéphiles proches. Et non, tous les cinéphiles n’aiment pas ce genre de western macho. Tarantino s’amuse, dévoile ses influences et ce qui le passionne et l’inspire, au risque d’oublier son spectateur lambda. Parfois même, les mauvaises langues diraient que ça vire à l’égo-trip où le réalisateur démontre son talent. « Regardez, je fais du beau western ». C’est bien petit, mais tu nous l’avais déjà montré dans tes autres films. Un peu de renouveau ne serait pas de trop. C’est encore du Tarantino, qui fait certes un film moins Tarantinien, moins accessible que ses précédentes œuvres, dans un style qui se rapproche du comédie/drame avec moins d’effusions de sang et de délires propres au cinéaste, mais la sauce Tarantino nappe toujours le tout.


Je n’ai d’ailleurs jamais vu Tarantino aussi enfantin : scénario bancal qui part dans tous les sens, comme un enfant joue avec ses jouets, et fin naïve (sur laquelle je reviendrai également), après un passage de baston violente/gore qui fait totalement tache avec le reste. La contextualisation est maladroite : contrairement à WWII dans Inglorious Basterds, ici je ne suis pas certaine que tout le monde saisisse le contexte et l’histoire exploitée par Tarantino (les deux spectateurs avec moi lors de la séance ne le savaient pas). Et non, Sharon Tate ça ne parle pas à tous. D’autant plus que le personnage se livre davantage dans des scènes risibles (Tate qui s’amuse, Tate qui se pâme devant la vraie Tate dans un nanard qu’elle regarde au cinéma, dans une scène débordante de narcissisme, comme si l’œuvre n’était pas assez narcissique…). Elle nous est directement présentée comme l’épouse de Roman Polanski, dans des fêtes, avec ses amis, ou en cloque, le reste finalement on s’en fout. Bref, excepté sa valeur symbolique et scénaristique, on repassera. Eh oui, ce n’est pas dans ce Tarantino-là que vous trouverez des personnages féminins forts (coucou de loin à Kill Bill). Ici vous ne verrez que des fantasmes de cinéphile old-school qui ne servent à rien. A côté de deux personnages masculins en mode « bro », qui tiennent l’affiche. Dans un climat misogyne des plus normaux. Cliff Booth a tué sa femme ? Tout le monde s’en fout ? Hollywood bien blanc et masculin, c’est ça le bel Hollywood ? C’est ça la nostalgie ? Sans oublier Bruce Lee inutilement ridiculisé…


Je crois que ce film manque vraiment d’universalité pour être qualifié de chef d’œuvre (sans oublier de mentionner tous ses défauts bien sûr, qui le desservent largement). La fin est une vision, une opinion, celle de Tarantino. Alors oui ce film a un sens si on le considère dans sa globalité : conte de fée où la princesse Tate est sauvée des méchants de la Manson Family, afin de prolonger le rêve hollywoodien, de préserver ce diamant dans son écrin. Mais fragilité du rêve, qui peut éclater à tout instant, comme une bulle de savon. D’où une démonstration du pouvoir de la fiction, qui crée des simulacres qui remplacent la réalité. Je ne répèterai pas toutes les analyses évoquées par les critiques. On peut en trouver beaucoup. Je n’ai pas l’intention de me livrer à une branlette intellectuelle sur ce film, il ne le mérite pas. En revanche, la démarche du réalisateur, elle, le mérite, car le film est loin d’être un ovni dans le fond, et s’inscrit finalement dans une époque, dans un présent de création je veux dire, où la mode est à la négation des vérités qui fâchent et à la construction d’idéaux individualistes, de simulacres qui tendent à devenir pour chacun ce que la réalité n’a pas été et n’est pas, et dans lesquels on préfère se réfugier (exemple : Instagram. Et je m’arrêterai là, promis). Ici Tarantino joue pour construire son idéal, comme un démiurge pour qui tout est possible, qui fait fi de nombreuses barrières (morales notamment). 

En outre, ce sens, ce message délivré par le film est contestable. Pourquoi ? Car ici, Tarantino altère la réalité, et tente de la masquer. Mais cette dissimulation ne fonctionne pas. Elle créé un court-circuit dans la raison. Sharon Tate est morte, cette réalité alternative où Sharon Tate aurait été sauvée n’existe pas, et réduit à néant ce film. Tout est « fake ». C'est un piège, une vulgaire arnaque, dont certains n'ont pas les clefs (j'entends par là, les références), plus qu'un tour de magie réussi. De plus, le film se pose comme un préquel d’uchronie (l’uchronie étant un « et si ? » dans le passé, par exemple : « et si les forces de l’Axe avaient gagné la Seconde Guerre Mondiale ?, ce qui constitue le postulat du livre « le Maître du Haut Château » de P. K. Dick). Par conséquent, le spectateur resterait libre d’imaginer la suite, vu que rien n’est développé suite à l’évitement du meurtre. Or il ne reste plus rien à imaginer : l’happy-end naïve proposée ici est cruelle, en plus d'être immorale. Elle peut persuader le spectateur, si elle touche aux émotions, mais ne m’a pas convaincue. Le scénario bancal n’arrange pas cela, faisant de l’évitement de ce meurtre un twist final, encore moins convaincant, comme si un enfant nous exposait une histoire avec ses jouets. « Et là elle devait mourir … mais les deux gentils monsieurs sont là et hop ! adieu les méchants ! Elle ne meurt pas ! », explique le jeune Quentin de 5 ans. La cohérence du tout est largement discutable. On vient d'assister au paradoxe de Schrodinger. La mesure historique est formelle : Sharon Tate (le chat de notre expérience) est morte. Mais non, Tarantino balance sa réalité parallèle où Sharon Tate est vivante. Pourquoi pas une fin ouverte (morte et/ou vivante) ? Mais tout est permis... notamment les désirs de vengeance de Tarantino sur l'histoire, qui cassent la barrière et l'équilibre fondamental entre réalité et fiction, vrai/faux, et annihilent paradoxalement le doute et l'imagination qu'une œuvre laisse subsister grâce à ces distinctions et l'existence des "contraires". A vouloir s'affranchir de toutes limites, il démolit toutes les barrières et impose avec violence sa vision. Ou, paradoxalement, comment l'on quitte un monde de création sclérosé pour former une nouvelle sclérose. J'ai cessé d'y croire.


Pour conclure, Tarantino propose par ce film une tentative de dissimulation de la vérité, pour créer une réalité alternative. Personnellement, je n’adhère pas. Et je ne suis pas émue. Parce que, premièrement, j’ai toujours eu un problème avec le révisionnisme de Tarantino, qui est plus un jeu égoïste qu’un véritable questionnement avec un postulat antérieur à la démonstration (a priori) et non pas apporté comme une conséquence (a posteriori). C’était déjà un peu le cas dans Inglorious Bastards. Mais ce dernier avait un côté fun et décalé, et se prenait moins au sérieux. OUATIH se veut trop de choses à la fois. Trop 1er degré. Deuxièmement et principalement, ce film est un délire d’initiés par et pour Tarantino, et pour les membres de sa secte, soigneusement choisis selon ses propres critères. La cinéphilie selon Tarantino, ou la violence symbolique selon Bourdieu.

leaakier
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le 26 août 2019

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