Quentin Tarantino a depuis longtemps laissé entendre qu'il s'arrêterait après son dixième film. Seulement à ce jeu là, il est difficile de tenir les comptes, et ce "Once upon a time..." est crédité comme son 9ème long dans la promo du film alors même qu'il apparaît comme son véritable 10ème film (si on compte chaque "Kill Bill" indépendamment). Peu importe ces données purement comptables et anecdotiques allez-vous me dire ; mais pourtant tout dans ce film apparaît comme un bilan de la filmo du bonhomme. Et peut-être même son chef d'oeuvre dans le sens le plus strict de l'expression.
Comme à chaque fois, son film était très attendu, mais il y avait quelque chose encore en + cette fois, comme l'a montré les files d'attente folles à Cannes cette année et le démarrage record du film. Peut-être du fait du casting, du retour de QT à un cinéma plus contemporain, ou surement dû à l'histoire tristement célèbre qui entoure le destin de Sharon Tate... Ces attentes, QT les connaît et se fait un malin plaisir à en jouer en n'étant jamais là où on l'attend. Car avant même de parler de Cinéma en général, il parle du sien. D'abord par des clins d’œil à ces précédents films (la scène des nazis) et ensuite en détournant ses propres codes ; l'histoire de Tate est finalement relayé en toile de fond, le montage est linéaire, la violence retenue et pas là où on s'attend. Il défait même ses propres gimmicks, à l'exemple de son célèbre fétichisme des pieds ; ici il les filme d'abord flous, puis sales.
Aussi il laisse son récit prendre son temps en gérant, comme seul lui sait le faire, plus de la moité de son film sans véritables enjeux, avec comme seul fil rouge l'installation des voisins Tate et Polanski. C'est là que son écriture et ses dialogues font le boulot et que le jeu d'acteurs impressionne ; Di Caprio et Pitt forment un duo attachant, et les performances de l'un et de l'autre justifient à elles seules le déplacement. Oui, même Brad Pitt, qui n'a jamais véritablement montré une palette d'émotions importante à l'écran, trouve ici une justesse dans le jeu sans (trop de) roublardises.
QT dépeint le Hollywood des années 60, le fameux "âge d'or hollywoodien", alors même qu'il n'était qu'enfant à cette période. C'est là que son film apparaît le plus touchant car le plus proustien ; c'est une version sûrement tronquée, subjective - voire imaginée, de cette période. Il écrit donc un véritable conte avec 2 héros fictifs au milieu de figures réelles dans un LA peut-être fantasmé, où le 7ème art est partout, tout le temps. Tout transpire le Cinéma, du décor aux affiches, des extraits détournés aux extraits réels, de Tate/Robbit qui regarde la véritable Tate à l'écran... Tout s'entre-mêle.
Jusqu'au paroxysme où QT lâche tout ce qu'il a contenu pendant 2h, où le Cinéma vient réécrire littéralement le Réel, vient panser les plaies, offrir un vrai espoir. Même vain. Parce que c'est le deal que vous signez avec l'auteur quand vous vous asseyez dans une salle obscure, celui de lâcher prise, et durant un court instant, voyager dans un univers, tout alternatif qu'il soit. C'est d'ailleurs là que son film est bouleversant ; là où avant il aurait arrêté son récit au massacre de fin dans un climax de fun, il choisit de faire un épilogue beaucoup plus poignant qui nous laisse entrevoir ce qu'aurait pu être la réalité de cet été 69, qui restera comme un point de bascule aux USA
Un hommage puissant au Cinéma, à sa force de rêverie et d'espoir, à ses acteurs que la mode porte en héros puis oublie peu après. QT a peur de devenir ce Rick Dalton qui connaît les galères après une gloire (trop) éphémère, et couche ses peurs sur pellicule. Il laissera certains sur le bord de la route tant sa proposition est radicale, mais pour ceux qu'il embarque c'est un plaisir dingue. Paradoxalement son film le moins "Tarantinesque" mais le plus somme de toutes ses autres œuvres.