Ne pas lire ce papier si vous n'avez pas vu le film, j'y raconte la fin.
Ce qui m'agace habituellement dans les films de Tarantino est double, et les deux éléments se rejoignent. C'est d'abord son appétence à changer de registre en permanence, passant d'un effet super 8 à un technicolor, d'un found footage à un décor de plateau, d'une pellicule qui brûle à un noir et blanc soigné, tout ça créant des ruptures permanentes et m’empêchant de me poser dans un univers proposé. L'autre c'est son extrême cinéphilie, qu'il essaie de faire rentrer au forceps dans chacun de ses plans, créant un jeu de citations permanent hyper étouffant. La grande réussite de Once Upon a Time... in Hollywood tient en partie au fait qu'il a enfin réussi à distiller ces deux défauts intelligemment dans son récit, car ils n'ont pas disparu pour autant, mais ils ne nuisent absolument plus à l'ensemble. Pourquoi ? Tout d'abord, parce que le sujet du film est le cinéma, et qu'il peut donc à loisir glisser des références et des clins d'oeil, ils viennent tous nourrir le corps du récit puisque ce corps est le cinéma lui-même. Pas de parasitage, mais un enrichissement. Ensuite parce que les différents régimes d'images sont intégrés au récit pour devenir les différentes créations de l'acteur Rick Dalton : une série tv, un film en cinémascope, un scopitone, une pub sont autant de moyens pour Tarantino pour changer de format, de pellicule, de grain, sans pour autant fragmenter son récit. Récit qui va donc pouvoir se dérouler sans cette fragmentation désagréable tout en conservant sa complexité.
L'autre grand choc du film vient de sa confrontation avec la réalité. Le film raconte deux histoires. Celle, fictive, de l'acteur Rick Dalton, inspiré d'assez près par le début de carrière de Clint Eastwood, mais pas seulement, et de son cascadeur devenu homme à tout faire, Cliff Booth. Un mot tout de même pour insister sur l'excellence des deux acteurs, prodigieux, et leur incroyable connivence à jouer ensemble. Et puis celle, tout à fait réelle, qui, outre le fait de retranscrire l'ambiance d'Hollywood à la fin des années 60, se concentre plus particulièrement sur l’événement le plus tragique de son époque, et sans doute le plus tristement célèbre, qui va d'ailleurs sonner le glas de l'époque, marquer d'une empreinte de sang la fin du flower power, du mouvement hippie, et de l'hédonisme généralisé qui régnait sur la fin des 60's, le meurtre de Cielo Drive où la bande de jeunes paumés, drogués, débiles motivés par le gourou sataniste et manipulateur Charles Manson est allé assassiner sauvagement l'actrice Sharon Tate, compagne de Roman Polanski, alors enceinte de 8 mois, mais également ses amis : le coiffeur des stars Jay Sebring, le producteur Wojciech Frykowski et sa fiancée Abigail Folger, héritière de la compagnie de café Folgers, ainsi que Steven Parent, un ami du gardien de la villa, qui fut le seul à garder la vie sauve car il écoutait de la musique au casque (comme DiCaprio dans sa piscine) et ne sortit pas de son cabanon. Ce qui est à retenir dans cet affreux fait divers c'est que ce meurtre a été commandité par hasard. Le commando doit venger Charles Manson du producteur de musique Terry Melcher, qui a refusé de le signer mais ce dernier a récemment déménagé. D'ailleurs on aperçoit Manson uniquement 30 secondes dans le film et il vient devant la maison demander à voir Dennis Wilson, membre des Beach Boys et à cette époque au fait de sa carrière solo. Sharon Tate lui dit qu'il n'habite plus là, mais le Manson de Tarantino ne semble pas comprendre. Donc, c'est là où cela devient absolument passionnant : Les tueurs ont commis ce meurtre par hasard, ils se sont trompés de victime. Et l'axe, vertigineux, magnifique, tellement déstabilisant et enthousiasmant, pris par Tarantino est le suivant : puisqu'ils se sont trompés de victimes, pourquoi ne se tromperaient-ils pas de maison ? On sait que Tarantino aime changer le cours de l'histoire depuis le final extraordinaire de Inglourious Basterds, somptueux remake de la Grande Vadrouille, où Tarantino se payait le luxe de dézinguer Hitler à coup de lance-flammes, affirmant avec flamboyance que le Cinéma avait le pouvoir de changer le cours de l'histoire ! Quelle magnifique déclaration d'amour. Dans Once Upon a Time... in Hollywood, il va se produire la même chose, et un indice nous met sur la voie : l'un des rôles endossés par Rick Dalton dans le film est celui d'un soldat/héros qui va flamber des nazis à coup de lance-flammes. C'est un indice pour nous dire que l'histoire sera aussi revisitée, même si on ne sait pas encore qu'elle se finira aussi au lance-flammes. Bref, toute la préparation du meurtre de Cielo Drive est identique à la réalité, tout se passe au détail près comme dans le fait divers et puis arrive ce que personnellement je n'appréhendais absolument pas, qui m'a surpris tout autant qu'il m'a fait jubiler, et qui semble pourtant logique au vu de tout ce que je viens d'écrire : les assassins se trompent de maison ! Ils se trompent de maison et au lieu de débarquer chez Sharon Tate ils débarquent chez Rick Dalton, et lui et son compère Cliff Booth vont leur régler leur compte dans une débauche de violence irréelle qui n'a jamais été aussi jubilatoire qu'ici, car nous avons, en tant que spectateur, le droit de jouir de cette violence, car outre le fait qu'elle est uchronique, qu'elle n'existe pas en tant que telle, elle est aussi réparatrice, venant panser nos plaies de la douleur occasionnée par la vraie violence, celle qu'on connait tous est qui est la triste réalité du meurtre de Cielo Drive. Qu'est-ce que Tarantino veut dire avec ce cataclysme émotionnel ? C'est assez simple, et magnifiquement bouleversant, et là aussi à deux niveaux. Il veut dire que le cinéma est plus fort que la mort. C'est vrai au second degré, car bien évidemment, nous continuons en temps que spectateur à voir des acteurs en vie en revoyant leurs films. Ceci étant parfaitement mis en scène par Tarantino dans la belle scène où Sharon Tate va au cinéma voir un film dont elle est elle-même l'actrice. Nous avons alors la vraie Sharon Tate sous les yeux et nous la voyons en vie. Mais Tarantino va plus loin : En se trompant de maison, les assassins se font zigouiller par des personnages crées par Tarantino, et par effet domino, et sans le savoir, Booth & Dalton sauvent littéralement la vie de Sharon Tate. Oui Sharon Tate est vivante, elle l'a toujours été et le sera pour toujours. Car le cinéma la maintient en vie. Il est impossible d'imaginer un plus bel hommage qu'on puisse rendre à l'actrice. C'est ce qui est sublime aussi dans ce film, Tarantino se tient le plus loin possible du fait divers, il n'est jamais dans le scabreux, jamais dans le voyeurisme. On aurait pu penser que Manson serait une figure centrale du film, mais non, Tarantino n'en veut pas, il n'a pas sa place dans son film. Polanski apparait, mais il n'est qu'une silhouette qui conduit une voiture. Tarantino ne veut pas du fait divers. Lorsqu'à la fin du film, Sharon Tate ouvre son portail, puis sa maison et qu'elle invite Dalton à entrer chez elle, cette ouverture de portail est l'une des plus belles invitations à la vie qu'il m'ait été donné de voir. Le cinéma permet ça, de sauver les gens, et de leur offrir une vie éternelle. Tarantino est arrivé au sommet de son art, et le cinéma ne l'oubliera jamais.

FrankyFockers
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le 4 sept. 2019

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