Je dois vouer que je ne savais pas trop quelle note mettre à ce film tant il est dérangeant.
Dès la première scène, Kubrick nous plonge dans un univers déconcertant où le lait donne des pouvoirs surhumains ou plutôt inhumains... En effet, c'est de la violence sous ses formes les plus diverses (physiques, verbales, sexuelles) et poussées (torture, assassinat, viol, mutilation) que le réalisateur
D'Orange mécanique
traite.
Nous immergeant dans un décor totalement aliéné (et fascinant de part sa créativité), ce film présente un monde pourtant bien réel où la violence est omniprésente au point d'être banalisée. (Cela me rappelle le concept postérieur de
brutalisation des sociétés
créé par George L. Mosse sur la capacité des hommes à intérioriser la notion de la violence comme normale dans l'entre-deux-guerres en raison de la surexposition à la violence qu'ils ont subi). En effet, en 1971, le monde reste marqué par les deux conflagrations du XXème siècle ainsi que toutes les rivalités belliqueuses de la Guerre froide. Par ailleurs, aux Etats-Unis, la question de la délinquance juvénile hante les esprits. Les années 1960 voient un regain de la criminalité, faisant de certaines villes comme New York le siège de nombreux homicides. Que faire de ces jeunes ? L'emprisonnement mène t-il au repentir ou contribue-t-il à encourager la violence en créant de la frustration et en rassemblant toutes les personnes les plus machiavéliques ensembles ?
Toutes ces interrogations soulevées par ce film m'ont beaucoup intéressée. Kubrick fait d'ailleurs allusion aux travaux scientifiques les plus novateurs de l'époque sur le sujet. Il présente par exemple le test de Rosenzweig dans lequel le patient doit exprimer ce que lui évoque une vignette présentant une situation de frustration où deux personnages parlent mais où seule réplique est visible. Dans cette étude, le psychologue cherche à analyser les phénomènes d'agressivité. Bref, ce long-métrage est vraiment un bon moyen de réfléchir à la violence et aux moyens de la réprimer.
Au-dela de l'esthétisme et du sujet du film, je l'ai trouvé vraiment très drôle (principalement en raison de l'utilisation de la musique) : la scène de viol dans le théâtre présentée comme une ballet, le plan à trois en accéléré dans la chambre d'Alex, la "réadaptation" du jeu de claquettes de Singing in the rain, relecture des Ecrits Saints...
Le plus impressionnant est surement que Kubrick dénonce la violence à l'aide de la violence (violence des couleurs vives et des lumières contrastées, violence de la musique forte et cadencée ou encore violence des images licencieuses) mais je crois qu'il fait ainsi de ce film une bonne catharsis :)