Critique rédigée en mai 2019


Bien qu'étant une figure emblématique du cinéma européen et international, Wim Wenders n'est pas réputé pour être l'auteur de films techniquement tous très aboutis (une petite pensée pour le métaphysique mais quelque peu barbant Les Ailes du désir) et tous acteurs de sa renommée mondiale.
1984 fut cependant l'année de la consécration pour le cinéaste allemand: il nous réalise la production la plus primée et la plus unanimement acclamée du festival de Cannes, une pluie d'émotions, une fourmilière à sentiments et une oeuvre profondément humaine dont il nous fait grandement part dans Paris, Texas !


Dans une atmosphère mystère et fortement marquée par la nostalgie, le film met en scène Travis (feu Harry Dean Stanton, incontestablement le rôle de sa vie), un homme disparu au Texas depuis quatre ans et qui cache un lourd secret.


En effet, il a quitté son foyer, laissant ainsi son épouse Jane (Nastassja Kinski, Tess) et leur enfant seuls.


Il trouve réfuge à Paris, la ville au Texas où il a grandi. Retrouvé inconscient dans un café en plein coeur du désert, il est rejoint par son frère Walt dont il n'avait plus de nouvelles, et ce dernier décide de l'héberger à Los Angeles. Chez son frère, Travis rencontre Hunter, un petit garçon adopté par Walt, qui est en réalité le fils de Travis et Jane. Petit à petit, le contact entre le père et le fils se renforce et leur complicité va jusqu'à les unir afin de retrouver Jane, désormais mannequin à Houston. Mais peut-on réhabiliter un amour perdu en dépit des désordres causés par le temps ?


Une claque émotionnelle ! Paris Texas est l'histoire d'une famille qui se recompose, avec plus ou moins de difficulté, après plusieurs années de séparation. Wenders laisse une grande place aux émotions dans ce scénario semblant à première vue sortir de nulle part tant les retournements de situation et les sentiments sont nombreux.
Le film se divise en trois parties: une première durant laquelle Travis se perd, tel le rapace l'accompagnant dans le désert du Texas, pour se rapproche doucement mais sûrement dans le monde des vivants à travers les séquences en voiture ; une deuxième partie valorisant le retour d'un personnage à la sociabilité et à l'amour ; se concluant par une troisième partie magistrale faisant à nouveau recours au road movie et aux monologues symbolisant la tentative de retrouver la vie de couple idéale connue autrefois. C'est une découpure à la fois émouvante et cohérente puisque chaque partie marque une étape dans la quête du héros, à la fois touchante en humaine.


Nous découvrons que le couple s'est séparé suite à des tensions survenues face au sentiment d'incapacité de s'occuper d'un enfant. En effet, Travis et Jane étaient tous deux dérangés par la large différence d'âge de leur couple (35 ans d'écart, en se référant aux biographies des deux acteurs) et par la charge d'Hunter qui, dès sa naissance, va assister au déchirement de l'amour liant ses parents.


De ce point de vue, le film valorise l'évocation de la peur de vieillir, voire de rater sa vie. Au final, chaque personnage remet en question ses erreurs et ses défauts et cette manière de présenter l'évolution des personnages montre ô combien il est difficile pour chacun d'affronter ses problèmes personnels sans blesser autrui.


"Ce qui ne noue tue pas nous rend plus fort", ce dicton n'a jamais été réel que dans ce film puisqu'il serait bon ton de noter que contrairement à Jane, Travis ne pleure jamais et fait usage de la parole de la séquence à l'aéroport au début du film, jusqu'à la conclusion. Cela donne l'impression a appris de sa solitude, que son absence de quatre ans à la vie de société lui a appris les valeurs de l'homme.
Au début, Travis, ce cinquantenaire triste et mutique, est esseulé dans le désert du Texas, exilé dans l'état où il est né. Nous pouvons voir dès le début son désir de silence et de rester dans ses souvenirs du passé, sans penser au présent, qu'il pourrait passer en ville en fondant une famille heureuse.
Au contraire, à la fin, dès que Travis commence son voyage avec son fils, on voit qu'il parvient à accepter le présent et ses douleurs à travers le dialogue.


(comment parler de Paris Texas sans penser à l'envoûtant dénouement, mené de plein coeur par un simple dialogue entre le couple suite à leurs retrouvailles ? Une séquence originale qui prend au tripes, et dans laquelle s'entrecroisent les sentiments différents des deux protagonistes. L'originalité de cette scène réside dans le point de vue de chaque personnage: Travis, dans une pièce noire, parvient à observer Jane, tandis que cette dernière, dans une pièce éclairée, voit son propre reflet dans la vitre à la place de Travis. A cet instant, on parvient clairement à observer la confrontation du personnage face à lui-même, et qui, en l'occurrence, se retrouve subitement confrontée aux douleurs du passé.)


C'est au travers de cette séquence d'anthologie, suivie par la déchirante boucle narrative qui conclut le film, que notre protagoniste principal parvient à faire face à ses problèmes (donc à son passé) et renonce ainsi à vainement essayer d'y échapper.


La bande originale de Ry Cooder, sobre et envoûtante bien que peu attachante, symbolise la mélancolie d'un personnage hanté par son passé et par la peur du changement. Elle se fraie une place d'une haute importance lors des scènes marquées par la solitude de notre héros ; des accords légers de guitare se répétant, et ne semblant pas former une mélodie lisse... Tel Travis, la mélodie n'a aucune direction précise et rarement une musique n'a aussi bien représenté la psychologie d'un personnage.


Ce film m'a chuchoté au creux de l'oreille à quel point il est essentiel d'aller de l'avant et de prendre du recul face à mes tracas quotidiens. Le message, aussi bien positif que déchirant, est toujours intact après plusieurs visionnages, et vaudrait à ce film d'être transmis de génération en génération à juste titre !
"Maintenant, je vais devoir repartir" pour citer Harry Dean Stanton, et vous laisser savourer ce chef d'oeuvre de toute sa substantifique moelle.

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le 18 déc. 2020

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