Le vent de la pampa balaye hommes et saisons...

Rarement un film sera parvenu à être à ce point à l'image de son sujet : "Patagonia, el invierno" - dont le titre original est "El Invierno", "L'Hiver" - est un film âpre, rude et superbe, altier, fascinant, comme le sont les paysages de la Patagonie éponyme. Ce sont eux qui apparaissent d'ailleurs en premier à l'écran, vaste pampa légèrement ondulante et brûlée par le froid, trouée de quelques lacs épars et d'anfractuosités de mer, et barrée, en fond, par un chapelet de montagnes découpées en aiguilles comme seul semble pouvoir en produire un imaginaire d'artiste. Quelques chevaux à demi sauvages se trouvent là, semblant plus à même, avec leurs quatre pattes, que les hominidés bipèdes, de résister au vent inlassable qui s'acharne sur cette langue de terre.


Le réalisateur, Emiliano Torres, énonce volontiers son désir de faire de cette région extrême le troisième personnage du film, aux côtés des deux hommes qui s'affronteront pour elle. En réalité, les paysages recueillis par son objectif se posent d'emblée en personnage dominant, pareil à l'ogre des contes qui ne fait qu'une bouchée des petits êtres qui s'agitent à ses pieds. Dominants, ils le sont par l'ampleur, la taille, mais aussi la majesté et le pouvoir de séduction.


Pourtant, les acteurs choisis parviennent à s'imposer, chacun à sa manière : Alejandro Sieveking, le visage aussi raviné que les paysages, mais empreint d'une noblesse hiératique, incarne Evans, responsable de l'hacienda éleveuse de moutons et de chevaux qui lui impose une mise en retraite aussi brusque que peu désirée. A la manière d'un Don Quichotte des temps modernes, il refuse ce réel et lance sa haute et droite silhouette dans un combat voué à l'échec. Cristian Salguero, plus petit, trapu, mais doté d'une agilité et d'une habileté animales, est Jara, l'homme plus jeune qui lui succédera et tentera de lui résister...


"Patagonia, el invierno" est un grand film, qui tout à la fois nous transporte aux antipodes et nous fait retrouver des sentiments intimes et familiers : l'attachement à un sol, la force et la grandeur de l'univers qui nous charrie ; face à elles, notre difficulté, toute humaine, à accepter le passage du temps, à laisser la place, au propre comme au figuré...

AnneSchneider
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le 3 juil. 2017

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Anne Schneider

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