Le dernier fim de Jim Jarmush est - de tout les films que je connaisse - celui qui parle le mieux de ce qu'est la poésie, celui qui donne le plus envie d'en lire et de s'essayer à l'écriture poétique.
Le personnage de Paterson s'enferme dans une routine quotidienne boulot-bar-dodo indolente pour concentrer toute son intention et sa vivacité à l'écriture. A des journées bien règlées répondent des vers frais et surprenants.
Jim Jarmush ne tombe pas dans le travers d'un certain cinéma asiatique qui envisage la poésie comme un joli programme ronronnant : ici elle est d'une énergie folle et imprévisible, d'autant plus imprévisible qu' on se fait souvent tromper par ce que l'on croit être des scènes d'inspiration : Paterson observe quelque chose qui semble le marquer, il commence à écrire, mais ... surprise, le sujet du poème est tout autre que ce à quoi on pouvait s'attendre. En contre-point de Paterson, sa femme me semble représenter la tendance inverse dans la pratique artistique : éparpillée, elle a une approche très superficielle et convenue des pratiques auxquelles elle s'adonne : par exemple elle s'habille "country" en préparation d'un cours de musique country et on pourrait voir son obsession pour les motifs noir et blanc comme la recherche d'une esthétique de la réduction chromatique, propre et sans surprise.
Malgré quelques moqueries vis-a-vis de ce personnage, le film garde une grande bienveillance, à la fois pour ses protagonistes et pour ses spectateurs, et bien que souvent surpris, on ne se sent jamais malmené.
On peut aussi être gré à Jim Jarmush de ne pas avoir confondu routine et banalité (je me souviens notamment de "La Solidad" dans lequel Jaime Rosales n'avait pas trouvé d'autre idée que de provoquer l'ennui du spectateur pour représenter l'insignifiance du quotidien). Les saynètes au bar, dans le bus ou à la maison sont cocasses et denses. Si Paterson contemple beaucoup, le film en lui-même, n'est pas contemplatif.
Je pense garder de ce film le souvenir des scènes de rédaction cathartique, la scansion alors hachée du génial Adam Driver se mêlant à la plus douce des musiques, ainsi que cette rencontre avec un Japonais à la fin du film, qui se conclue par un "excusez-moi ? << humhum ? >>". Ce "Humhum?" typiquement japonais servant ici d'étincelle pour réveiller l'énergie poétique du chauffeur de bus.

dillinger0508
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le 6 janv. 2017

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