Paterson c’est le héros d’un quotidien ordinaire, d’une ville ordinaire. Un gars sans histoires, qui vit sa vie banale, entre sa petite femme chérie, son boulot de chauffeur de bus, et un chien du nom de Marvin. La ville s’appelle Paterson. Ça tombe bien, Paterson lui-même poète à ses heures perdues, écrit de la poésie sur un petit carnet intime. Paterson est une ville de poètes. Sa femme, persuadée de son talent, le pousse à chercher un éditeur. Les meilleurs Jarmusch fonctionnent sur ce petit rien. C’est quand il ne se passe rien que ça fonctionne. Anecdotes banales, elles aussi petites. Les passagers du bus qui se racontent des histoires, (drôles), bavardage social, va et vient du quotidien, le bus fait sa tournée. Au foyer, la femme fait des petits plats, (artistiques), et s’occupe de la maison en vraie fée du logis. Décoratrice d’intérieure inspirée, peintre, artiste dans l’âme, elle a un goût affirmée, quoiqu’assez personnel,  c’est pas dégueu, ce qu’elle fait, quand même..


Quand Paterson commence à écrire, l’écran devient féerique. Ça devient beau. On voit des vagues, des cascades, les chutes de Paissac. Que de la beauté ! Mais il y a un problème. Le problème, c’est le chien qui ne sert à rien. Assis sur le canapé à ne rien faire de toute la journée. Paterson lui fait faire sa sortie rituelle du soir, et en profite pour aller boire une bière au bar avec les copains. A quoi sert ce chien ? Paterson c’est une ville d’artistes. Allan Ginsberg, la Beat Generation, Lou Costello, ou William Carlos William, poète préféré de notre héros. Method Man, (encore un hommage au WuTang Clan), ou Laura, la femme de Paterson, qui en quelques heures arrive à jouer de la guitare qu’elle a commandé sur internet (?!) Quel talent ! Nous sommes dans une ville d’artistes ?  Marvin est sûrement un artiste. Comme beaucoup d’artistes, il ne sert à rien. Il ne fait rien en apparence, mais attend son heure, pour réaliser son chef-d’œuvre.


  Mais il y a un autre truc qui cloche. Le seul dont je ne suis pas du tout sûr du talent, c’est Paterson lui-même. Je trouve ses vers plats et sans saveur aucune. Il n’y a que sa femme qui puisse trouver ça bien. Ça c’est le regard de l’amour, c’est sûr.


 Tous les autres personnages sont tordants et insignifiants que le héros. La Pâte Jarmusch. Des gens ordinaires, sans reliefs, tous des Paterson en miniatures, des gens simples, qui recèlent des trésors d’humanité, par la grâce de la répétition, et de leur petites histoires. Et comme d’habitude, toute cette lenteur cache quelque chose, mais quoi ? Paterson écrit beaucoup, mais ça vaut quoi ? Ce mec a du talent ou pas du tout ? L’évidence s’impose.... On tourne en rond comme Paterson, on s’ennuie presque. Et soudain Marvin, le chien, fait quelque chose d’extraordinaire !


 Je suis resté baba ! Chapeau Jarmusch ! Poétique, gag, monstrueuse liberté, et imagination. Et Paterson continue sa vie banale, sans se douter de rien. Mais il se fait mener par le bout du nez par son chien, le chien de sa femme, pour être plus précis. Par son boulot, le bus. Et quand il promène le chien le soir, va voir les copains, boire une bière, comme d’habitude. Et soudain, on  voit arriver une bande de jeunes, casquette à l’envers, l’air patibulaire, au volant d’une décapotable sport, mais pas de panique ! On est chez Jim Jarmusch. Chez lui, jamais de violence est inutile, et le seul coup de feu, sera pour rire.


« C’est un bulldog anglais que t’as là mec. Tu sais que ça vaut cher ces chiens là ? Fais attention quand tu te balades, on ne sait jamais. Tu vois ce que je veux dire… »


 Et pour la première, et seule fois du film, Marvin grogne. Il n’aime pas ses inconnus, et n’aucune envie de quitter sa maîtresse, et le gars qui le fait sortir le soir, pour faire ses besoins, non plus. Oh que non ! Et madame qui veut un enfant…des jumeaux. Et Paterson qui rencontre d’autres poètes, dont une fillette qui lui lit au coin de la rue deux lignes de son cahier de poésie. Deux lignes qui valent à elles seules 200 pages de Paterson ( !) Un vrai talent cette fillette.


   Pourquoi faire le portrait d’un mec aussi banal ? Il n’a pas de talent, ça se voit. Sympa, mais sans relief. Qu’est-ce qu’il me fait là, Jarmusch ? Et soudain, le chien fait un truc encore plus fort, aidé par le montage (elliptique), et la narration (retardée). Coup de bluff magique. Bam !


Ce chien c’est un p*tain de génie ! J’en veux un ! C’est lui le héros du film. Je disais qu’il ne servait à  rien, et bien je présente des excuses officielles, à tous les bouledogues anglais de la planète.


 Et le film se termine comme il a commencé. Paterson a compris qu’il n’a  aucun talent, à part celui de conduire des bus, (ce qu’il fait très bien). Une ultime rencontre avec un japonais en visite touristique, une rencontre salvatrice. Ce gars, poète qui écrit des haïkus, n’aime pas les traductions. Lire un poème traduit en une autre langue, c’est comme : « …passer sous la douche avec un imperméable », dit-il. Pas mal. Il offre un cadeau au héros, qui rêvasse en face des chutes de Paissac….


Paterson a peut-être du talent, finalement. Il est seulement plus lent que la moyenne. Eloge de la lenteur, encore un, dans un monde où tout est, et se vit en accéléré.


Le talent n’existe pas, seul le travail existe. Il semble dire ça Jarmusch. Surtout quand on vit dans la ville des poètes, à l’ombre de modèles écrasants. Film beau et subtil. Beaucoup plus qu’il n’y paraît de prime abord. On ne parle même plus de technique, on se laisse aller, et on rêve. Poésie.


  PS : en voyant un portrait de Dante dans les  affaires de Paterson, je comprends pourquoi le chien s’appelait Dante, dans le film que j’ai vu la veille. Coco. Pas terrible, clin d’œil cache-misère. Aucun rapport direct avec le film en question, citation assez plate. Dante méritait mieux que ce chien sans poils, idiot et inutile. Si vous aimez votre progéniture, préférez Paterson à Coco.

Angie_Eklespri
8
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le 26 févr. 2018

Critique lue 242 fois

Angie_Eklespri

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