Il est parfois des films auxquels, quel que soit notre bagage cinématographique, on ne peut jamais vraiment être préparés. Si j'en crois mon humble mais néanmoins intime conviction, Pique-nique à Hanging Rock fait partie de ceux-là. Jamais en effet dans ma courte vie il ne m'a semblé avoir le sentiment d'être hanté par un film à ce point-là et pour une période aussi longue, qui semble ne jamais vouloir s'achever.
On peut dès lors comprendre la nécessité d'écrire, de tenter d'exorciser sa propre fascination pour un tel objet - à plus forte raison que celui-ci m'a, comble du sens critique, encore plus ébloui en le revoyant en l'espace de quelques mois, au lieu de me permettre de prendre sur lui un recul salvateur.


La difficulté n'en est cependant pas moins titanesque et il me semble que grimper au sommet de la formation rocheuse serait chose plus aisée que de trouver la réponse à la question : que peut-on bien dire sur Pique-nique à Hanging Rock ?
C'est là tout le problème du film en ce qu'il me semble être définitivement impossible à saisir totalement ou même globalement. Un rêve encore est-il interprétable, autant un rêve dans un rêve nécessite une prétention hors-norme pour être explicité.


Le thème est celui de la disparition. De jeunes filles anglaises vivant dans un pensionnat australien. Grimpant au sommet d'une formation rocheuse datant d'un million d'années.


C'est jeune, il paraît. Hanging Rock a attendu juste pour elles, il paraît.


Que peut-on ajouter de plus ? Un synopsis qui tient en quelques mots, la simplicité même. On peut déjà se rendre compte de l'impossibilité de résolution de l'histoire. On peut déjà songer à des pistes d'interprétation. Comme voir dans les rochers et la fascination qu'ils exercent sur trois jeunes filles une métaphore de la perte de virginité, d'innocence, qui s'oppose à la rigueur de leur éducation. Qui les fait progressivement retirer leurs atours les plus superflus. Et les serpents, et les lézards qui se pressent près de Miranda assoupie, ne sont-ils pas des symboles phalliques tentateurs ?


Oui et non.
Oui, pourquoi pas. Mais non. Ce n'est pas un film purement métaphorique. Le plus terrible avec Pique-nique à Hanging Rock, c'est la multiplicité des pistes d'interprétation du mystère qu'on peut y déceler sans qu'aucune d'elle ne soit jamais capable de comprendre plus de la moitié des éléments.
Un nuage rouge, des ongles cassés, et tout ça part à la poubelle.


Sérieusement, il est quand même question d'une histoire tirée d'un roman du même nom (même si elle possède le charme d'un fait réel inexpliqué) duquel on a retiré le chapitre final explicatif, qui sera finalement publié des années plus tard et dont l'authenticité est elle-même contestée. Autrement dit, le mystère s'étend jusqu'à l'origine réelle de ce qui est censé être l'explication ultime de l'auteure elle-même.
Oui parce que, au cas où ça vous intrigue au point de la torture (comme l'auteur de cette critique), sachez que la fin officielle écrite est toute pourrie (je ne plaisante pas) mais semble, d'après certains lecteurs hypothétiquement avisés, d'un style bien inférieur à celui du roman d'origine. Vraie conclusion ou intox de l'éditeur ? On ne le saura jamais.


Je pense que c'est clair, selon moi il n'y a aucun moyen de comprendre correctement Pique-nique à Hanging Rock. Mais le meilleur moyen d'accepter cet état de fait est probablement de prendre le film comme un mystère qui prend son intérêt dans son opacité. Autrement dit, une Ode au mystère. J'irais même jusqu'à dire : la quintessence du mystère.
J'en tiens plusieurs éléments comme adjuvants à cette hypothèse (dans la conception de Weir on va dire, pour ne pas discourir de façon absolue).


D'abord les thèmes musicaux. Ensorceleurs au sens premier du terme.
Bien sûr, on en retiendra deux majeurs : celui à la flûte de pan (avec l'orgue en fond, je me dois de le signaler parce que ce thème me hante depuis des semaines et des semaines, et la flûte de pan ne produirait manifestement pas un tel effet à elle-seule) et celui dit de l'ascension utilisé à plusieurs reprises (vous devinez à quels moments...) qui instaure un climat mystique des plus inquiétants.
J'évoque ces deux thèmes surtout pour signaler que le second intervient également lors des recherches des jeunes filles dans la deuxième partie (lorsque celles-ci sont manifestement faites au bon endroit ou de la bonne façon...), et est donc démonstratif d'une irrésistible attirance de la formation rocheuse exercée sur les personnages (et pas seulement les jeunes nymphes en quête de libération sexuelle), qui semble à cet égard quasi-surnaturelle. Pardon, magnétisme vous dites ? Montres qui s'arrêtent ? Il n'y a pas que chez Jules Verne (1) que le magnétisme attire les gens en plus du métal ?


Ensuite, pour revenir sur les événements de la fin sans aucunement les mentionner (ni sur ceux de la fin d'origine du film qui fut coupée, que vous pouvez trouver sur youtube si vous avez vu le film et que vous avez du courage (non je ne donne pas le lien, je suis assez traumatisé comme ça pour ne pas en plus répandre cette vidéo)), je trouve que le personnage (presque le seul) de la directrice du pensionnat qui refuse d'admettre la gravité des événements ou en tout cas leur caractère profondément mystérieux et déstabilisant est celui qui va d'une certaine manière avoir le plus de problèmes à affronter. Comme si l'interrogation était si omnipotente qu'elle devait balayer tous les êtres sur son passage, en même temps que les certitudes de ceux-ci.


Enfin, et, quoi de plus évident finalement que cette première ligne de dialogue, retranscrite sur l'affiche du film ?



All what we see or seem / Is but a dream within a dream



Citation certes légèrement modifiée d'Edgar Allan Poe, mais tout de même, loin, bien loin d'être anodine. Si on connaît aujourd'hui le maître de l'étrange du XIXème bien trop comme un poète maudit, auteur de la bien-connue Maison Usher entres autres Nouvelles histoires extraordinaires, théoricien du genre de la nouvelle, dresseur de corbeaux, peintre de la perversité, ou que sais-je encore - on oublie parfois que pour Edgar Poe, la chute du récit fantastique n'avait de sens qu'en partie parce que le surnaturel entraîne la rupture de celui-ci. Autrement dit, le surnaturel est une possibilité paradoxalement naturelle (qui peut être rencontrée) mais par essence beaucoup trop étrangère à l'Homme pour que celui-ci y survive, si ce n'est physiquement, du moins psychiquement.


C'est exactement là où Pique-nique à Hanging Rock frappe en vérité un bon coup, comme en témoigne à demi-mot la scène de l'espèce de jardin botanique avec la plante qui réagit au toucher : l'Homme est impuissant à percer le Mystère parce que le Mystère ne relève pas du domaine de l'humain. Pourquoi les jeunes filles sont-elles allées au sommet du rocher ? Pourquoi Miranda prétexte le fait de vouloir prendre des mesures ? Pourquoi semble-elle savoir avant même de se rendre au pique-nique qu'elle n'en reviendra jamais ? Et surtout, qu'est-ce qui attire irrésistiblement Arthur Gordon Pym vers l'Antarctique et le fascine au point d'en perdre toute notion de réalité, dans le dernier chapitre de l'ouvrage éponyme ? Malgré les traces subsistantes d'un phénomène inexplicable, la clé de l'énigme ne peut que demeurer absente. Et toutes ces questions ne peuvent se résoudre d'aucune réponse.


Parce que face au Mystère, nous ne pouvons être que des fourmis. Que les cigales croient en ce qu'elles veulent : le doute ne me quittera plus jamais.


(1) : Cf: Le Sphinx des Glaces. Ne le lisez pas, par contre... c'est bof.

Lyusan

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