La puissance évocatrice du minimalisme

J'ai franchement du mal à noter ce film, objectiver une œuvre avec un chiffe c'est dans tous les cas un exercice délicat sinon dérisoire mais là c'est pour de toutes autres raisons.


Je ne peux pas dire que j'ai aimé regarder ce film, mais j'ai trouvé le propos très intéressant. Je suis un fan de la première heure d'Hallyuwood et ce qui frappe globalement dans ce cinéma c'est la richesse, l'inventivité de leurs scénarios. Même lorsque l'on touche à la sphère historique, ils arrivent toujours à nous la faire voir par un prisme différent. J'ai vu au moins vingt fois l'histoire des empereurs Joseon, de l'occupation japonaise, de la guerre de Corée ou de la dictature militaire. Chaque fois j'ai eu l'impression qu'on me racontais une histoire différente, et chaque fois j'ai pu noter le nombre de péripéties et de rebondissements qui me tenaient en haleine. Même cette histoire là on me l'a déjà raconté, différemment bien sûr, avec Mother par exemple de Bong Joon Ho qu'on ne présente plus même aux néophytes.
Contrairement aux cinémas français ou américains, je ne me prononcerai pas sur les autres que je connais moins, plus on me raconte une histoire, et plus je l'apprécie, me l'appropriant peu à peu. Dans ces autres cinémas, on nous raconte aussi toujours la même histoire, et au final on a l'impression de voir dix fois le même film. Il y a des exceptions bien sûr, Kubrick a su dépeindre la guerre du Vietnam à sa façon par exemple, mais pour l'essentiel l'effet inverse se produit, plus je l'entends, plus cette histoire me lasse.


J'ai ma théorie là dessus, mais je ne sais pas si c'est vraiment le lieu pour la développer, je vais donc plutôt me recentrer sur Poetry, et tenter d'expliquer mon ressenti schizophrénique sur ce film.
Le plus simple je pense et de passer par deux axes, ce qui fait qu'il me déplait d'une part, et d'une autre pourquoi le fond me touche profondément.


Les deux sont plus ou moins liés, mais commençons par ce qui fâche : le film est lent. Ce n'est pas quelque chose de rédhibitoire pour moi, un film lent peut avoir des vertus contemplatives, mais ici mon problème c'est que je ne le trouve pas particulièrement beau, ni dans le fond, ni dans la forme.
Je peux apprécier un film avec une intrigue qui prend son temps, voire qui est absente, mais il faut que j'y trouve un intérêt au moins dans sa mise en scène, ou à l'extrême limite dans son cadre, ce qu'il veut nous montrer. Prenons Stalker de Tarkovsky, je n'ai pas fondamentalement aimé ce film, mais d'un point de vue de la mise en scène c'est impressionnant. C'est un peu le cas aussi pour les giallos (gialli ?) d'Argento qui me passionnent, il y a bien sûr des passages beaucoup plus pêchus mais dans leur globalité, ces films sont assez lents, et leurs scénarios sont très pauvres, par contre au niveau de la mise en scène et tout particulièrement de la lumière, ils me font vibrer. Je les trouve magnifiques.
Pour Poetry, je ne retrouve rien de tout ça, je trouve qu'on est vraiment très proche d'un Burning de Lee Chang-Dong qui m'avait ennuyé aussi, mais chez qui je n'avais pas trouvé les qualités qui m'ont autant partagé sur celui-ci, un rythme très lent, une mise en scène assez plate.
Il y a tout de même de jolis moments, la fin est particulièrement émouvante et la façon dont Mija, l'héroïne, s'approprie le monde autour d'elle est très touchante, mais en dehors de ça je n'ai pas été bouleversé comme pour la majorité des œuvres sud-coréennes que j'ai pu voir.


Cela étant dit, et contrairement à Burning où les non-dits et le "non-scénario" sont juste des prétextes pour forcer l'originalité d'une intrigue convenue au possible, dans Poetry le décryptage de ce qu'il y a entre les lignes est beaucoup plus intéressant. Les thèmes aussi font vraiment réfléchir, que je ne veux pas trop évoquer pour ne pas gâcher l'histoire à ceux qui ne l'ont pas encore vu. Pour tenter de ne pas donner trop de pistes, parlons du rapport au vieillissement, du caractère inconditionnel de l'amour filial, de la réaction hyper égocentrique, presque sociopathique des personnages devant un drame terrible ou encore de la subjectivité du regard sur le monde. Tous ces thèmes sont renforcés justement par l'aspect lent et presque minimaliste de la réalisation, c'est pourquoi je suis partagé. Je trouve le film à la fois juste dans ce qu'il raconte et dans le vecteur par lequel il passe pour nous le présenter, mais terriblement ennuyeux à regarder. Pour le dire autrement, il réussit avec brio ce qu'il entreprend, mais je j'y suis malheureusement très peu sensible. Finalement, pour moi, l'analyser serait presque plus intéressant que de le voir.


Pour la faire courte, un peu en guise de conclusion, je dirais que c'est un film intelligent mais qui demande une certaine sensibilité pour le minimalisme. Ce n'est pas mon cas, mais je suis obligé de reconnaitre qu'il n'est pas mauvais, très loin de là.

El_Simono
8
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le 14 avr. 2020

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El_Simono

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