Ran par Le Cinema du Ghetto
Ran est librement adapté d’une tragédie de William Shakespeare, Le Roi Lear écrit en 1606. L’oeuvre de Kurosawa, fresque semi-historique, relate la passation de royaume du daimyo Hidetora Ichimonji (Tatsuya Nakadai), équivalent du gouverneur, à ses trois fils Taro, Jiro et Saburo. Taro, l’aîné, et Jiro accepte sans discuter l’héritage et le partage de territoire tandis que Saburo dénonce le comportement inhumain de son père. Ce dernier prend la remarque comme une menace, déshérite Saburo et le chasse de ses terres. Une fois le pouvoir obtenu, Taro et Jiro vont trahir l’amour qu’ils avaient pour leur père qui décide de se réfugier chez Saburo, seul fils qui l’aimait pour ce qu’il était et non pour sa fortune.
Si Ran est entré dans les classiques du film historique qui plus est du film de samouraï c’est tout d’abord parce qu’il est visuellement éblouissant. Chaque plan s’organise comme un tableau en mouvement, chaque séquence comme une pièce de théâtre. Et ce, à l’image du pré-générique où les personnages demeurent immobiles, calmes et silencieux. Ce ressenti s’explique en partie par les dix longues années où Kurosawa a peint chaque plan de son storyboard, peintures qui serviront d’abord à promouvoir le film puis qui seront exposées dans différentes galeries. Ajoutons à cela pas moins de 1400 figurants auxquels on distribue des costumes cousus mains pour obtenir une épopée tangible du Japon du XVIé siècle. Il faut dire que Ran impressionne autant par son authenticité que par sa mise en scène. On reste rivé sur l’écran qui en plus de nous allouer de très belles images nous offre une interprétation juste des comédiens et notamment de Tatsuya Nakadai.
C’est un film sombre et personnel que signe Kurosawa. Sombre parce qu’il évoque explicitement l’avidité du pouvoir, qu’il soit matériel, politique ou sociétal. C’est à travers lui que Taro et Jiro essaient de se libérer. En effet pour eux le pouvoir est symbole de liberté, liberté d’agir sans conséquence et sans empêchement. Mais cette façon d’agir les pousse à commettre des actes inhumains dont ils perdront le contrôle. Plus le film avance plus l’impression de folie guette les protagonistes. Car pour Taro, Jiro et Hidetora la folie est le dernier endroit pour se sentir véritablement libre, maître de son propre monde. Cela va se traduire par une folie furieuse et meurtrière pour les frères alors qu’elle sera plus canalisée chez Ichimonji qui souhaite juste se défaire du monde réel. Le film est sombre par le pessimisme qu’il dégage, les plans de natures s’opposant à la brutalité de l’homme, nature douce et contemplative qui s’écrase devant la force de destruction de l’homme. Seul Saburo semble raisonnable et son armée digne d’une éducation de samouraï. Maîtrise de soi, bienveillance et compassion selon les principes qui composent l’éthique chinoise que les samouraïs ont repris toujours en bannissant l’avidité, l’ignorance et la violence gratuite. Cet enseignement qu’ignore le bouffon d’Hidetora, Kyoami (Shinnosuke "Peter" Ikehata), qui se met à blasphémer et se fait reprendre par un soldat de Saburo lui rappellant que s’il faut vénérer les dieux il ne faut pas pour autant attendre d’eux la victoire. Kyoami qui durant tout le film remplit sa fonction de bouffon avec brio. Jouant le rôle d’amuseur de foule mais assumant son devoir de conseillé et de maître à penser pour Hidetora. Jonglant avec des citations, il est le seul à pouvoir user de son rang et de son talent pour critiquer les choix du daimyo, il devient un élément essentiel dans la mise en place et la compréhension du film. Mais celui-ci aussi perdra pour quelques instant sa raison, sombrant, lors de la mort de son maître, dans la folie.
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