D’abord, deux évidences à propos de Razzia : 1) son auteur, Nabil Ayouch a beaucoup à (re)dire sur la société marocaine et 2) ses critiques sont justifiées et les intentions du film sont bonnes. Mais une liste de critiques fondées et de bonnes intentions font-elles un bon film ?
Parfois oui, si le film n’est pas qu’un réquisitoire, et que, entre autres, des personnages viennent l’incarner, que la mise en scène vient lui donner des images mémorables.
Mais parfois non, lorsque le film renonce au cinéma et se réduit à administrer des critiques.
Difficile de classer Razzia dans l’une ou l’autre catégorie. Car il y a de beaux personnages, tous les cinq touchants… mais le film ne leur laisse pas le temps de vivre grand-chose, si bien qu’ils restent fonctionnels.
Le film a trop à dire : l’islamisation du pays, la mort des particularismes culturels, l’antisémitisme, l’homophobie, la misogynie, le machisme, le patriarcat, les inégalités sociales, l’influence occidentale… Et finalement, ce trop-plein dessert le film : chaque problème est à peine esquissé, incarné par un personnage, aussitôt remplacé par un autre personnage qui illustre une nouvelle faille sociale, etc. Le montage entraîne le spectateur d’un personnage à un autre, d’un thème à un autre, sans qu’ils soient approfondis, sans que ceux-ci soient organiquement liés, sans donner l’impression d’un tout.
Pourtant, on attend le grand moment – comme dans un film choral - où toutes les histoires se rassemblent… en vain, le tout ne prend pas. Le « climax » est en littéralement un : la révolte qui gronde durant tout le film, finit par exploser à la fin… mais cette explosion n’est pas la conséquence des actions du film : cette révolte n’est qu’une toile de fond alors qu’elle aurait pu être au cœur du film. Il y a des paradoxes et des ambiguïtés que j’aurais aimé voir explorés : qui sont les mécontents ? comment fonctionne ce curieux mélange de réacs, qui défilent, et de libéraux, qui s’insurgent ?
L’approche de la société marocaine est en fait plutôt superficielle : vouloir dire en 2h tous les maux d’un pays conduit à renoncer à la subtilité et à aligner les lieux communs. Si l’on m’avait demandé de lister les problèmes du Maroc, moi, occidental moyen peu connaisseur de ce pays, j’aurais cité ceux évoqués par le film. C’est dommage : le film donne l’impression d’un bréviaire des problèmes rencontrés par les Maroc à l’usage d’un public occidental : tout est simplifié…
Mais restent de vrais beaux moments, quand le film n’est plus dans l’énonciation de problèmes sociaux, mais vraiment avec ses personnages, lorsqu’ils ne sont pas réduits à leur fonction : la jeune fille amoureuse de la fille de ses employés ; la naïveté de l’employé qui croit que Casablanca a été tourné au Maroc ; la détresse du professeur.
Enfin, même si l’envie de dénoncer une situation l’emporte sur l’intérêt cinématographique du film, il faut enfin saluer le courage de ceux qui l’ont fabriqué. Le dernier plan dit d’ailleurs ce courage - et celui de son actrice : montrer les fesses peu vêtues d’une femme dans un film majoritairement marocain, c’est (hélas !) toujours subversif (ce n’est pas la même intention que Kechiche qui semble filmer un cul pour le plaisir de filmer un cul).