Les débuts de l'aventure américaine
Hitchcock était un personnage bizarre et pénible. C'était un grand faiseur de film, un brillant raconteur d'histoire, un chef de chantier et un maniaque du contrôle. Hitchcock c'était aussi des films qui devaient savoir trainer en longueur pour mettre en place l'angoisse permanente de la bombe sous la table. "Rebecca" fonctionne comme ça tout du long. La fausse lenteur qui amène sans cesse des angoisses supplémentaires qui tendent vers une seule question : que s'est il passé ?
Très loin de la grandeur hollywoodienne de Selznick, "Rebecca" nous prend par la main pour nous raconter comment ce monstre invisible peut tout écraser, tout emporter et détruire ce qu'il veut. La mise en scène distille une multitude de détails qui mettent mal à l'aise le personnage et le spectateur. L'écrasante pression sociale et morale appliquée dès le premier dialogue, la jeune épouse qui ne porte au final pas de prénom alors que le film porte celui de la défunte, le jeu d'acteur de Joan Fontaine où en permanence au bord de la rupture tel un oiseau enfermé dans une cage sur laquelle on taperait frénétiquement, le paternalisme froid et distant de Laurence Olivier, la distance physique qui séparent les personnages, etc.
On sent aussi que la maîtrise de Hitchcock est mise en branle par des décisions de producteur et d'acteur. On sent également que le maître est à l'aise avec la mise en place d'une atmosphère lugubre, malsaine et presque surnaturelle, alors qu'il ne s'agit que d'une tragédie familiale. Gestion de la caméra dans les décors, gestion des ombres et de l'espace, le metteur en scène n'a malgré tout pas cherché à surenchérir son propos en développant une grammaire sobrement exploitée. Quelques plans très travaillés mais pas ampoulés, quelques décors subtilement exploités mais rien d'aussi grandiloquent que ce qu'a pu vouloir faire Kane quelques années plus tard. Peut être que la différence de style est bien présente, peut être que Hitchcock avait la subtilité du narrateur européen en phase avec son scénario, en tout cas ce "Rebecca" reste un très grand film, extrêmement maîtrisé à la fois grandiose et intimiste.