Le tournant des années 1950 marque la grande époque du western façon John Ford. Rio Grande vient clore la trilogie militaire du réalisateur, entamée avec Le Massacre de Fort Apache en 1948, et La Charge Héroïque l’année suivante. Bien que le film soit considéré comme le plus faible des trois, la marque (cinématographique, pas automobile) Ford est toujours gage de qualité et d'aventure.


Sorti la même année que le Convoi des Braves, Rio Grande est en quelque sorte la quintessence du western à la John Ford. On y retrouve les thèmes récurrents de son cinéma : attaques d’Indiens (toujours méchants), enlèvements d’enfants – c’est aussi le thème de La prisonnière du désert –, grandes chevauchées à travers la poussière du désert texan, au milieu des pitons rocheux si caractéristiques (et aux échos sonores si particuliers ici !).


Je confonds systématiquement ce Rio Grande signé John Ford, et Rio Bravo, réalisé 9 ans plus tard par Howard Hawks. Pas grand-chose en commun entre ces deux films du côté de l’intrigue, mais les deux titres désignent le même fleuve, qui forme la frontière avec le Mexique ! Rio Grande côté Texan, Rio Bravo côté mexicain.


Septième collaboration avec John Wayne (pour le plaisir, citons les 6 précédentes : La chevauchée fantastique en 1939, Les Hommes de la mer en 1940, Les Sacrifiés en 1945, Le Massacre de Fort Apache et Le Fils du désert en 1948, La Charge héroïque en 1949), « L’homme le plus classe du monde » endosse une nouvelle fois la tunique bleue – ici sous le rang de colonel Kirby Yorke – pour un rôle de patriarche paternaliste.
Patriarche, il l’est envers le bataillon de cavalerie sous ses ordres, qu’il dirige d’une main de fer, mais avec justesse et compassion. Paternaliste envers son fils, Jeff (Claude Jarman Junior), qui intègre rapidement la troupe comme simple soldat, après avoir échoué à un examen militaire. Les deux hommes ne se sont pas vus depuis 15 ans, à cause de l’engagement de Kirby dans la guerre de Sécession, et jurent que leur lien de parenté n’altèrera ni leur engagement militaire, ni leur jugement.
La famille se trouve bientôt rassemblée au complet avec l’arrivée de Kathleen, mère de Jeff et épouse de Kirby, sous les traits de Maureen O’Hara, actrice mise sur le devant de la scène par Alfred Hitchcock et sa Taverne de la Jamaïque en 1939, et muse de John Ford avec pas moins de cinq collaborations au compteur (Rio Grande est leur second film ensemble, après Qu’elle était verte ma vallée en 1941). Kathleen est venue plaider le retour au foyer de son fils – contre sa volonté – et cherche à l’éloigner de l’armée et de la violence de la guerre.


Cette guerre, c’est celle contre les Indiens, menace toujours présente, bien qu’on n’en voit pas une plume pendant plus de la moitié du film. Deux attaques, c’est ce qu’il faut aux Apaches pour déclencher la riposte des tuniques bleues. Kirby York se retrouve alors confronté à ses craintes inavouées, celles de mettre en danger la vie de son fils.


Film de commande réalisé sans grande conviction, Rio Grande fait en réalité partie d’un deal plus large. John Ford s’engage à réaliser ce western – genre très prisé du public américain de l’époque – à la condition que le producteur Herbert J.Yates le laisse mener à bout l’un des projets qui l’occupe depuis un moment, et que Ford peine à financer. Ce film, c’est une comédie, L'Homme tranquille, qui sort finalement deux ans plus tard, et où l’on retrouve au casting Maureen O’Hara et John Wayne (ce dernier aida d’ailleurs Ford dans son deal « double programme » en acceptant une réduction de 3/4 de son salaire sur Rio Grande. Sympa le bonhomme).


Dans Rio Grande, on retrouve à plusieurs moments cette volonté d’insérer des éléments de comédie dans le récit. Que ce soit le coup de fusil dans les fesses, qui part tout seul lors de l’assaut final, ou bien le gros sergent – à la sergent Garcia dans Zorro – qui revient se signer avant de sortir précipitamment de l’église lors de ce même assaut, les petites touches comiques ne manquent pas, ce qui fait toujours plaisir. Celles-ci sont accompagnées d’une vraie volonté d’insérer – parfois maladroitement – trois chansons de Sons of the Pionner, un groupe que Ford vient de découvrir et qu’il semble particulièrement apprécier.


Rio Grande fait aujourd’hui – et à raison – partie des grands classiques du western (le film est classé 77e dans la liste des meilleurs westerns sur SC). Bien qu’il souffre par moments de flottement dans son scénario, et que certaines séquences (les combats avec les Indiens par exemple) paraissent bien pâlottes dans ce noir et blanc qu’on croirait en nuit américaine (et pourtant la même année Le Convoi des Braves est un exemple extrêmement réussi d’usage du noir et blanc dans la filmographie du réalisateur), Rio Grande est un excellent film qui rassemble et condense une bonne partie des thématiques préférées de John Ford, et des petits détails qui font tout le mordant de son cinéma.

D-Styx
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le 22 mars 2021

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D. Styx

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