Milieu des années 1980. Un homme sort de la production de son dernier long-métrage, FLESH + BLOOD. Une formidable épopée médiévale, qui va devenir culte chez les amateurs de jeux de rôle, emmenée par un rythme trépidant et une des partitions les plus magnifiques de Basil Poledouris, mais à la production houleuse, son réalisateur devant faire face à la fois aux pressions de son producteur, lequel l’oblige à revoir ses ambitions à la baisse, et à l’humeur changeante de son acteur principal et grand collaborateur depuis le début de sa carrière, Rutger Hauer ; ce dernier ne retravaillera d’ailleurs plus jamais avec son metteur en scène fétiche.


Tels les héros de son film picaresque à cheval entre le Moyen-Âge et la Renaissance et s’apercevant que le monde autour d’eux évolue, notre homme se dit qu’il est temps de changer de continent, de terre. Fini l’Europe, cap vers les États-Unis, pays qui lui lance des appels du pied depuis le grand succès de son film de guerre SOLDIER OF ORANGE. Il faut dire également que le protagoniste de notre histoire n’est plus vraiment en odeur de sainteté dans son pays d’origine, la Hollande. Après avoir traumatisé des générations de téléspectateurs néerlandais avec sa série télévisée FLORIS, déjà avec Rutger Hauer, et marqué au fer rouge la jeunesse des Pays-Bas des années 1970 avec TURKISH DELIGHT, le cinéaste va au fur et à mesure de son œuvre devenir l’homme à abattre pour la critique de son pays, en commettant coup sur coup le déjà nommé SOLDIER OF ORANGE, épopée trépidante à la Robert Aldrich sur la Résistance pendant le second conflit mondial qui sera très mal vue par la classe politique composée majoritairement d’anciens résistants ne supportant pas qu’un saltimbanque fasse du divertissement avec un sujet aussi sensible, et surtout le sulfureux SPETTERS, constat désabusé de la jeunesse hollandaise à l’aube des années 1980 contenant des scènes de sexe non explicites.
Après un pied de nez à la critique avec le thriller LE QUATRIÈME HOMME, condensé moqueur de tous les thèmes de prédilection de l’establishment cinématographique des Pays-Bas, et la coproduction américano-européenne FLESH + BLOOD qui deviendra un souvenir douloureux professionnellement parlant, il décide de sauter le pas et de changer de terre de cinéma, prêt à conquérir les États-Unis. Il s’appelle Paul Verhoeven.


Alors qu’il jette littéralement le script à la poubelle à sa première lecture, ne sachant quoi faire avec ce scénario, son épouse insiste auprès de son mari : ce scénario qui pourrait devenir entre d’autres mains une série B (voire Z) de science-fiction peut devenir un film de Paul Verhoeven. Ce dernier y voit alors l’opportunité d’injecter une critique sociale des États-Unis dans les années 1980 dans un pur divertissement SF, et bien sûr d’y faire le coquin via des images promptes à secouer le cocotier du blockbuster hollywoodien.
Dès ses premières minutes, et via l’incrustation de faux JT et spots de publicité tout au long du métrage, Verhoeven jette un constat : l’Amérique est en train de grandement muter politiquement, socialement, économiquement. Depuis l’arrivée de Ronald Reagan à la présidence des USA, le pays n’est plus dirigé par des hommes politiques ; en montrant une ville de Detroit dans un futur proche endettée économiquement et proche du dépôt de bilan, où les conglomérats et entreprises reprennent la main et dirigent à tout va le pays, privatisant l’armée, la police, les médias, les hôpitaux (scénario délirant à l’époque mais prophétique !), l’argent est roi. L’être humain n’est plus qu’une chair à canon pour industriels, un outil de la libéralisation à outrance. Le peuple n’a maintenant plus aucune importance : débilisée par des programmes télé idiots, des JT qui lui proposent de connaître l’actualité internationale en 3 minutes chrono et des publicités invitant au consumérisme à outrance (par exemple, une transplantation cardiaque vendue comme une assurance-vie ou un jeu de société simulant une situation internationale au bord de la guerre nucléaire), il est maintenant un rouage de la machine dollar, un véritable allié d’un néo-capitalisme triomphant, obligé de survivre face à une criminalité ayant atteint un point critique.


C’est dans ce contexte où les forces de l’ordre sont totalement à l’abandon qu’arrive le protagoniste, Murphy, véritable candide au milieu d’une bataille, voulant bien faire son travail, bon père de famille, cherchant même à imiter le héros la série policière préférée de son fils ; impossible de s’identifier à ce bleu-bite, le spectateur se dit alors qu’il va se faire tuer dès sa première intervention. Et c’est également ce que fait Verhoeven, qui décide alors de totalement impliquer son spectateur dans le tragique destin de ce personnage : la scène de son exécution est étirée à l’insoutenable, très graphique, puis sa tentative de réanimation est quasiment filmée du point de vue du torturé, enchaînant angles de caméra déformants et vue subjective remémorant ses derniers souvenirs de sa vie de famille. Puis Verhoeven se dirige de plus en plus vers le cinéma expérimental, décrivant la séquence de la « naissance » de RoboCop, futur robot-flic créé à partir du cadavre de Murphy par le biais de plans fixes en vue subjective enchaînés avec de longs cuts au noir signifiant une avancée dans le temps. Par ces trois séquences extrêmement subjectives, et en l’espace de moins de 10 minutes, le cinéaste hollandais nous identifie complètement à ce personnage qui apparaissait au début comme complètement transparent. (https://www.youtube.com/watch?v=2z8tQqZG8gI)


Verhoeven n’en oublie pas pour autant de nous livrer ce qui s’avérera être un des meilleurs films de science-fiction des années 1980 ; porté par une mise en scène et une photographie incroyables, apportant même une grande prouesse dans l’usage de la caméra portée, le long-métrage se permet même d’incroyables poussées de violence osées pour le cinéma de divertissement US de l’époque, dont la mythique scène culte de l’acide qui ne dépareillerait pas dans un film d’horreur trash des années 1980. (https://www.youtube.com/watch?v=2J8mkHUsiXY)
Le metteur en scène n’omet pas également le sujet principal du long-métrage : l’humain est mort, vive l’argent. Les conflits internationaux sont traités médiatiquement en 10 secondes entre deux pubs, les golden boys des entreprises sont prêts à se bouffer tout cru entrer eux à la première occasion, la mort atroce d’un jeune employé par une machine prête à rapporter des millions de dollars mais victime d’un bug est considéré comme « une grande déception », le malfrat liquéfié à l’acide est laissé à l’abandon par ses confrères. Seul notre RoboCop, après un bug lui ravivant ses derniers souvenirs avant sa crucifixion, et constatant la corruption qui règne au sein des hautes sphères de la ville, voudra à tout prix rester humain, et exécuter sa mission : protéger les innocents et faire régner la loi.


Après avoir accompli sa mission aux plus hautes sphères de Detroit, on lui demandera alors son nom. Il répondra alors Murphy. Un nouveau Murphy, certes à l’état de machine, mais au visage entier, à l’humanité entière, les yeux ouverts sur le monde actuel. Humain plus qu’humain. Le film peut alors s’achever et la musique triomphale de Poledouris commencer. (https://www.youtube.com/watch?v=53uKKlXmPiU)

HuriotDavid
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le 28 avr. 2018

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David Huriot

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