Un réalisateur tel que Luchino Visconti est propice à souvent établir des paternes et des thématiques propre à son œuvre, que l’on retrouve à travers les différents films qu’il produit durant sa carrière. Sur la filmographie du réalisateur italien règne pour la plupart du temps un intérêt voué aux grandeurs, qu’elles soient humaines ou qu’elles transcendent l’espace purement intimiste pour s’offrir à une vision historique. C’est de cette manière que Rocco et ses Frères se détache de l’essence même de ce qui fait habituellement le cinéma de Visconti, il s’agit pourtant là de son meilleur chef d’œuvre, dans lequel il décide de faire exister les pérégrinations d’une jalousie fraternelle.


En découvrant cette famille au milieu de la foule on comprend rapidement toute l’attention qui lui sera portée, celle-ci prend de la place autant figurativement que figuralement, on la voit se détacher du reste pour fonctionner comme un conglomérat plongé dans de grands espaces. La mère est le pilier central de cette descendance masculine, toujours entourée de ses fils c’est elle qui les présente au monde fière des valeurs qu’elle a pu leur inculquer. Mais cette présentation des garçons durera tout du long, chacun ayant un chapitre attitré permettant de recentrer l’action en fonction des utilités scénaristiques de chacun. Cet enchaînement réussit à montrer les liens qui les unissent, redéfinissant la famille comme le noyau central de l’attention des jeunes hommes, la parenté devient alors le prisme dans lequel le spectateur est amené à observer les choix de chaque personnage. Sous l’égide de cette instance chacun doit apprendre à vivre en appartenant à une unité dépassant sa propre existence, l’importance devient alors de pouvoir partager un repas avec tous les membres de sa famille dans une atmosphère de paix, bercée par la nourriture de la mère et la représentation de l’union des frères en présence des photos accrochées au mur.


Cette intime épopée italienne est accompagnée au rythme de la musique de Nino Rota, captant déjà la moelle de ce qui fera le thème du Parrain, c’est en appuyant aussi bien la mélancolie que les temps de conflits que la bande originale prend directement aux sentiments. Les moments de pure beauté existent lorsque les rapports familiaux semblent aller pour le mieux, la première vision de la neige crée une extase de matin de noël quand il ne s’agit en fait que d’une banale journée ; aussi la correspondance de la mère à Rocco quand celui-ci est à son service militaire laisse vagabonder les mots dans la tête du jeune homme éloigné des siens. Les moments d’intimité naissent de confessions sur l’oreiller ou de larmes glissant sous une paire de lunettes de soleil, ils permettent de sentir la proximité créée avec les personnages souvent contrebalancée par un éclat de colère ou un match de boxe, où le spectateur s’en retrouve d’autant plus touché. Le centre du problème qui confrontera deux de ces frères se manifeste dans la personne de Nadia, jeune prostituée qui fera chavirer le cœur de chacun. La jeune femme fait éclore chez le plus vieux des deux frangins un besoin d’attention virant à l’obsession compulsive alors qu’elle se verra illuminée d’une forme de pureté que lui apportera Rocco le temps d’un instant.


Le parallèle à faire entre combats de boxe et ébats amoureux est souligné par cette alternance des temps reliant souvent un match important avec une scène sentimentale aux larges conséquences. Les frères naviguent ainsi entre deux amours compliqués, celui du sport et celui des femmes ; le combat empiète sur les sentiments lorsque dans la tragédie fraternelle éclate la jalousie, allant jusqu’à déchirer les liens familiaux. La violence des scènes cinglantes ne fait qu’agrandir la déchéance qui apparaît dans cette famille par effet de gradation, c’est le fils cadet qui s’en retrouve le plus démuni face à ses propres émotions. Quand « soudain plus rien n’est vrai », c’est pour ces frères le début d’un calvaire qui embarque chacun dans le drame de l’autre jusqu’à ne plus pouvoir en soutenir les actes de démolition du plus violent.


La beauté des lumières embellit les espaces clôt de réunion, malgré la pauvreté embarrassante, aussi bien que les grands bâtiments qui subliment la ville de tout temps. Cette lumière est nécessaire pour une histoire qui souvent trouve refuge dans la nuit pour faire débattre la dualité de la noirceur de tout être avec sa propre lumière intérieure. Simone et Rocco marquent d’eux même cette comparaison, Simone appartenant à tout ce qu’il est possible de faire au plus mal tandis que Rocco dénote par sa bonté absolue, prêt à payer des péchés de son frère jusqu’à devenir exilé de sa propre famille. Car si l’importance du personnage de Rocco ne se crée qu’à travers ses actes au fil du temps, c’est bien l’allégresse de sa victoire finale qui unit tout un immeuble dans une même joie. Simone quant à lui dans un égoïsme certain fera de chaque membre de sa famille un bourreau, connoté par le sang qu’il fait apparaître sur les habits de chacun après avoir commis le pire des actes. Car si le lien génétique les lie pour le meilleur, il les lie aussi pour le pire.
L’idéal familial se voit annihilé par une nature humaine qui serait prête à tout oublier par amour, puis sauvée par un des leurs prêt à prendre chacun des coups s’il s’agit d’aimer son prochain sans concession.

Louis2Sousa
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le 22 févr. 2019

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