Dans l'imaginaire collectif, Scarface c'est Tony Montana, le personnage culte interprété superbement par Al Pacino dans le film de Brian de Palma. Et je pense que je suis loin d'être le seul à apprendre tardivement qu'il s'agissait d'un remake, dont l'original, datant de 1932, est le premier succès de Howard Hawks, autre cinéaste de renom.


Ce film est vraiment une version plus ancienne du chef d’œuvre de De Palma : ce dernier fera en effet une adaptation étonnamment fidèle. Il n'enlèvera presque rien au film de Hawks, mais ajoutera quelques éléments notables, comme les origines du personnage de Tony, ainsi qu'une ascension plus progressive pour ce même personnage, même si globalement les évènements restent strictement les mêmes.


En effet, le Scarface version 1932 va plus vite au but, car il n'a pas forcément les mêmes objectifs. Il est d'ailleurs précisé en exergue que le film vise à dénoncer l'impuissance des autorités face à la vague de crimes organisés régie par les gangs. Il faut dire que le film a été réalisé en pleine période de Prohibition, soit l'âge d'or de la mafia. Le titre Scarface, par ailleurs, fait autant référence à la balafre qu'a Tony Camonte sur sa joue qu'à Al Capone, figure emblématique de cette période ayant largement inspiré le film.


Il est assez difficile d'estimer aujourd'hui les jeux d'acteurs de l'époque, et je pense que c'est une des raisons principales pour en avoir fait un remake. Paul Muni fait un fort bon Tony, mais il incarne un personnage bien plus méprisable et prétentieux que ne le sera celui d'Al Pacino. Tony Camonte parait aussi beaucoup moins réglo que Tony Montana : il détruit tout sur son passage, tandis que Tony Montana se détruit surtout lui-même.


Bien que ce soit quand même le cas pour Tony Camonte, que l'on découvre sous son vrai jour à la fin du film. Seul, apeuré, il est alors bien moins admirable que Tony Montana, courageux et se croyant invincible. Dans les faits, les deux films finissent de la même manière... Mais on ne les ressent pas du tout de la même façon, bien que les deux soient intéressantes à leur manière.


La mise en scène de Scarface est souvent judicieuse, et joue beaucoup avec les ombres, tant quand un personnage apparaît pour commettre un crime - une ombre projetée sur le mur en introduction rappelle la marche du vampire de Nosferatu - que lorsque le crime est commis - l'ombre du panneau de signalisation forme une croix sur un personnage à terre.


De Palma a cependant supprimé un personnage fort appréciable dans ce film, mais qui n'aurait peut-être pas eu sa place auprès d'Al Pacino. Il s'agit du laquais de Tony, un personnage apportant une touche comique, ainsi qu'un effet tragique assez fort lorsque celui-ci meurt à la fin, fier d'avoir réussi pour la première fois à comprendre quelque-chose au téléphone... De l'humour noir qui trouve parfaitement sa place ici.


Scarface s'illustre ainsi comme un film noir à suspense culte de l'ère du Pré-Code, ayant été sauvagement censuré (avec une notamment une fin modifiée), mais c'est justement les libertés qu'il a pu prendre avant la censure qui l'a rendu aussi fidèle à la réalité. Un second remake sortirait en 2021, par Guadagnino, sur un scénario des Coen... Scarface est décidément le film de tous les suspenses.

Monsieur_Cintre
8
Écrit par

Créée

le 16 déc. 2020

Critique lue 214 fois

4 j'aime

6 commentaires

Monsieur_Cintre

Écrit par

Critique lue 214 fois

4
6

D'autres avis sur Scarface

Scarface
Sergent_Pepper
9

Critique de Scarface par Sergent_Pepper

Ce film est simplement génial. Fluide, extraordinairement interprété, dense, plastiquement superbe. Les plans séquence et la lumière sont fantastiques, la mise en espace très réfléchie et les...

le 19 juin 2013

44 j'aime

1

Scarface
Ugly
8

Scarface alias Capone

On sait que ce film est librement inspiré de la vie d'Al Capone à Chicago à la fin des années 20, au temps de la Prohibition ; en effet, Howard Hawks et son scénariste Ben Hecht ont utilisé plusieurs...

Par

le 5 juin 2019

36 j'aime

4

Scarface
KingRabbit
7

Tony Camonte Vs Tony Montana... And the winner is...

********************* ROUND 1 ************************* DRING ! DRING ! DRING ! A ma gauche Tony Camonte, chien enragé aux faux airs de Diego Costa, grand enfant soupe au lait qui n'hésite pas à...

le 29 nov. 2014

23 j'aime

5

Du même critique

The Big Lebowski
Monsieur_Cintre
10

Tout commença par une souillure de tapis...

En 1998, les frères Coen ont déjà maintes fois affirmé leur style à la fois étrange, absurde, dramatique, noir et comique. Un savant mélange qui, deux ans après la réussite de Fargo, donnera...

le 26 avr. 2020

19 j'aime

3

Les Aventuriers de l'arche perdue
Monsieur_Cintre
5

Archéologue : un métier badass

Je trouve que Spielberg a un sens tout particulièrement affûté lorsqu'il est question de rythmer ses films. Il rend la narration très simple, si bien qu'à chaque moment du film, nous savons à peu...

le 1 oct. 2018

18 j'aime

5

Mon nom est Personne
Monsieur_Cintre
7

Le chemin vers la reconnaissance

Mon Nom est Personne est à la fois un western spaghetti et un hommage au genre. Il s'agirait à l'origine d'un projet de Leone - le roi des spaghettis - qui en est le producteur, et qui souhaite...

le 5 sept. 2020

17 j'aime

10