Personnifier la neutralité

Quand il est question de suite, j'ai toujours ce souvenir lointain du film de Wes Craven, Scream 2, dans lequel les personnages engagent une conversation portant sur le grand débat des seconds opus. Aujourd'hui, au moins autant qu'hier, les suites se traînent cette sale réputation de machines à fric trahissant leur prédécesseur. A quel prix ? Souvent, pour une bonne poignée de millions de dollars, suivie d'une reconnaissance de la part des plus offrants ; à savoir ces producteurs industriels peu scrupuleux.

Scream 2 m'a appris autrefois que certaines suites en valent la peine. Je viens compléter le débat en ajoutant une illustration de plus, Sicario 2. On efface du tableau Emily Blunt et Denis Villeneuve ; pour les remplacer par de jeunes comédiens jusqu'alors méconnus, et d'un réalisateur italien au casier hollywoodien quasi-vierge. Le directeur de la photographie Roger Deakins, marquant moins l'esprit du grand public, mais très apprécié des communautés de cinéphiles, est également écarté du projet. Ce dernier laisse place à Dariusz Wolski, un collaborateur d'excellence ayant jadis co-travaillé avec des metteurs en scène du gigantisme tels que Gore Verbenski ou bien Ridley Scott.

Ces changements assumés sont à mon sens un premier pas vers la réussite d'un producteur et d'un scénariste, qui s'engagent à prendre le risque de fédérer de nouveaux artistes, aussi bien devant que derrière la caméra, et ce, pour étendre un univers tant apprécié. Et ça marche, surtout parce qu'il existe une admirable cohérence aussi bien visuelle que scénaristique. La scène glaçante d'introduction en témoigne, puisqu'elle se tient de respecter le point de vue propre à D.Villeneuve. Celui de présenter une mise en scène sobre et minimaliste pour y présenter une violence pure, brute et par conséquent, d'un réalisme bluffant : grand angle, justement cadré, ce dernier balayant les événements d'un léger travelling latéral. J'A.I.M.E.

Les louanges, j'en ferai avant tout à Taylor Sheridan. Le scénariste transcendant, hors-frontière, engagé, qui prend des aires d'essayiste avec ces nombreux thèmes géopolitiques faisant l'objet de controverses, perçant et persévérant dans son registre. Bien que cette fois-ci, il n'apporte pas une réflexion aussi approfondie que ses autres travaux. S'il instaure une sous-problématique liée au terrorisme orchestré par des minorités islamistes, l'objectif de cette suite tendra davantage à créer une "mythologie".

T.Sheridan présente ses sujets avec neutralité, sans placer au devant de la scène un super héros américain. Benicio del Torro, était, dans le premier volet, rien de plus que le sicaire, l'incarnation de la violence, de la fourberie des frontières mais aussi et surtout de l'humanité, dans la lecture la plus abstraite qu'il sera possible d'en faire. Il profite aujourd'hui de la situation, on ne peut lui en vouloir, de personnifier et d'iconiser un peu plus le personnage qu'il a créé. Implicitement et astucieusement, la bromance Brolin/Del Toro fera également son retour pour notre plus grand plaisir.

A noter que je préfère tout de même voir le scénariste s'engager dans des œuvres annexes et créer des suites officieuses, car si cette suite est appréciable, elle nous tease un troisième volet... Et ça, ça paraît flippant, ou alors est-ce une humble ouverture ? Parce que je ne voudrais pas voir le scénariste tomber dans la facilité systématique. La suite...