Le silence sur la souffrance et théologie chrétienne

Trente ans après La dernière tentation du Christ, Martin Scorsese revient nous parler de la foi à l’écran. Adapté d’un livre écrit par Shūsaku Endō, un catholique japonais, ce long-métrage se déroule sous l’ère Edo durant la persécution des chrétiens japonais.


Le père Rodrigues et Francisco Garupe partent pour le Japon à la recherche de leur mentor, Francisco Ferreira, qui selon la rumeur serait apostasié et vivrai au japon avec une femme. C’est sur ce point de départ que ces jésuites prennent le large pour découvrir à leur arrivée une île devenu invivable pour les chrétiens japonais, vivant au jour le jour la crainte d’être arrêté et torturé par l’inquisiteur Inoue, qu’ils ne se représentent pas comme un homme, mais une entité démoniaque. Vient alors pour eux deux un « chemin de croix » où ils devront éprouver leur foi face aux péripéties qui les attendent, tout le film tournant à peu près autour et une symbolique qui manque de raffinement. Notamment la scène où Rodrigues à moitié fou se regarde dans l’eau et se voit en Jésus, séquence suivit de son arrêt par l’inquisition grâce à Kichijiro, son guide sur l’île, passant pour un simili-Judas, homme pas mauvais en soi, juste un médiocre qui ne fait preuve d’aucune résistance, de moralité et tente de se racheter à de nombreuses reprises par une confession que cela frôle l’absurdité et l’indécence, surtout quand tout va mal pour le père Rodrigues lors de son emprisonnement, subissant la souffrance des fidèles qui refuse l’apostat. La symbolique de la scène du ruisseau aurait pu mieux fonctionner si elle était la prophétie des évènements à venir. Plus encore, cette symbolique chrétienne s’impose tout au long du récit, mais Scorsese n’en fait pas grand chose, ce qui aurait pu transcender l’ensemble. Reste quelques scènes en tête où les chrétiens sont montés sur la croix et se noient par la montée du niveau de la mer, l’arrivée de Rodrigues et Garupe sur l’île, la grotte et le début où on voit Ferreira face aux hommes morts à Nagasaki.


Sûr de sa « vérité », l’absoluité du père Rodrigues atteindra ses limites quand au détour d’une scène où il s’entretient avec Inoue - qui se révèle être le gouverneur de Chikugo – discute chacun de la place du christianisme au sein du Japon. On voit le prêtre défendre coûte que coûte l’universalité de sa religion, les bienfaits de l’évangélisation, comme si elle était la seule valable, face à un bouddhiste qui justifie la sienne et qui compare la chrétienté à une femme laide. Chacun campant dans ses positions. Étrange que le premier défend une vision prosélyte si archaïque avec ce qu’il endure, ne laissant aucune porte ouverte à la possibilité d’une coexistence. De l’autre, on se demande si Scorsese ne pense qu’à parler de ses croyances et jamais celles des autres, comme si c’était accessoire, ce qui pose problème vu que le protectionnisme du Japon et ce contexte répressif au XVIIème siècle eu pour origine la domination des puissances européennes sur l’Asie. Le pouvoir impérial ne souhaitant aucunement perdre sa main mise. Ce qui n’excuse pas pour autant l’exécution d’innocents en son pays.


Malgré tout, l’interprète japonais de Rodrigues, bien plus cultivé que les autres personnages du film va tempérer cette ardeur, en expliquant que les européens n’ont pas essayé de comprendre le peuple japonais. Pointant leur arrogance.


Sinon, le film possède bien d’autres qualités. Déjà les quelques beaux plans sur le paysage ensuite le tourment du prêtre lors de son emprisonnement qui doit choisir entre respecter son devoir et faire preuve de solidarité au groupe en ne renonçant pas à sa foi, et de l’autre l’envie d’apostasié afin de mettre fin à leurs souffrances, le doute aussi qui s’insinue peu à peu quant à l’existence d’un Dieu puis le dualisme entre respect de l’idole et blasphème lorsque sa doctrine est interdite et doit être dissimulé afin de protéger sa vie, sur ce qu’est le « péché » dans ces circonstances. Le sacré est omniprésent. Cette principale qualité est aussi son défaut, à moins d’adhérer à ce qui nous est proposé, d’être sensibles au sentiment de piété du père lors de la seconde partie du film, on finit par décrocher. Silence étant un film mettant le focus sur les martyrs de cette politique autoritaire et comment des personnes par la torture se sont retrouvés transformés. Andrew Garfield essayant de garder pied jusqu’au moment où on lui annonce que ses compagnons de cellule se sont résignés à l’apostat, plus qu’une formalité à effectuer comme dise ses bourreaux avec mépris : piétiner la table de « Jésus sur la croix » pour les libérer de la fosse, scène tout en slow-motion, sensé nous marquer, n’atteindra pas la tragédie. La faute revenant à un manque de tension palpable et la distance entre le spectateur et les protagonistes, qui n’existent principalement que pour exprimer les idées de Martin Scorsese.


Cette foi en le christianisme restera inébranlable jusqu’à la fin, Scorsese filmant l’habitacle mortuaire de l’ancien père qui a bien caché entre ses mains sa croix. Si les japonais ont pu réussir à ce qu’il ne pratique plus sa foi en apparence, ils ne peuvent atteindre son for intérieur, forteresse qui reste inaccessible de par son absence de matérialité. Si littéralement Dieu est en tout homme, il n’a besoin d’aucun son pour entendre les prières de ses adeptes.


Enfin, un reproche revient souvent, c’est l’adoption d’une lenteur rythmique, honnêtement cela sied bien à l’œuvre, dont la conversation que le réalisateur souhaite entretenir nécessite un cadre zen. On est en droit de se demander pourquoi pareil reproche, à cause du thème du film ? Le fait que cela parle uniquement de religion ? Ou un manque d’habitude ou une inadéquation au format ? Sans doute un peu des trois. Honnêtement ce n’est pas là où se situe le problème, il vient avant tout de Scorsese qui manque de subtilité et laisse peu de place à la nuance.


En guise de conclusion, Silence est un film intéressant sur la forme, on ne quitte pas ses yeux de l’écran. Cela dit, ce n’est pas extraordinaire non plus, un film en demi-teinte qui manque de fond dont à bien des égards nous laisse interrogateur sur un possible ethnocentrisme du contexte dans lequel l’action prend place, ce qu’un membre du site a développé. Néanmoins, dommage qu'il est fait pareil flop au box-office, lorsqu'au regard du palmarès, il y a matière à avoir peur.

Snervan
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films sortis en 2017, selon Snervan

Créée

le 13 févr. 2017

Critique lue 349 fois

1 j'aime

Snervan

Écrit par

Critique lue 349 fois

1

D'autres avis sur Silence

Silence
Chaosmos
10

L'Homme, cet être de croyances

La Révélation attendra … contrairement aux spoils De son aveu même, Silence est pour Scorsese l'aboutissement d'un parcours spirituel, d'un croyant qui aura interrogé sa foi tout au long de sa vie et...

le 13 févr. 2017

85 j'aime

14

Silence
Grimault_
9

Crainte et Tremblement

Dieu et l’humanité ressemblent à deux amants qui, ayant fait erreur sur le lieu de rendez-vous, ne se rejoignent jamais. Je ne pouvais pas ne pas commencer avec cette phrase magnifique de Simone...

le 13 févr. 2017

74 j'aime

22

Silence
PatriceSteibel
7

Critique de Silence par PatriceSteibel

Avec Silence le réalisateur mène ici à bien un projet de presque trente ans portant à l'écran le roman de l'écrivain (catholique) japonais Shūsaku Endō qui lui avait été recommandé par un révérend ...

le 13 janv. 2017

69 j'aime

1

Du même critique

Tomb Raider
Snervan
2

Die Hard feat. Lara Croft

Je n'irais pas par quatre chemins, si vous vous attendiez à un tomb raider digne de ce nom, vous pouvez déjà oublié, il n'a plus rien en commun avec les épisodes précédents mis à part son héroïne...

le 24 mars 2013

12 j'aime

4

Her
Snervan
2

Critique de Her par Snervan

Film bien noté par mes éclaireurs, j'étais parti pour voir le film et qui plus est mon intérêt se porter sur la relation entre l'homme et la machine, thème éculé généralement dans la SF, je voyais...

le 30 juin 2014

10 j'aime

1

The Last of Us
Snervan
4

Vous avez dit révolution ?

« A masterpiece, that breaks the self imposed barriers of gaming narrative and ensnares the player with intelligent gameplay and brilliant A.I. Anyone wanting to tackle the same themes will have to...

le 5 juil. 2014

9 j'aime

3