Jacen - Trip in Asia

Silenced (2011) – 도가니 / 125 min.
Réalisateur : Hwang Dong-Hyuk - 황동혁
Acteurs principaux : Gong Yoo – 공유 ; Jung Yu-Mi – 정유미 ; Kim Hyun-Soo – 김현수 ; Jung In-Seo – 정인서.
Mots-clefs : Corée ; Histoire Vraie ; Drame

Le pitch :

Un professeur d'art pour sourds et malentendants arrive dans une ville où il découvre que les professeurs de l'école abusent des enfants...

Premières impressions :
Ayant réuni 4 600 000 spectateurs en Corée en 2011, Silenced est un film qui marqua dans le début des années 2010. Un film qui marqua certes par son succès au box-office, mais qui marqua surtout car il confronta le public à une histoire vraie de pédophilie en Corée du Sud et à la relative impunité des pédophiles dans le pays. Honnêtement, il faut avoir le cœur vraiment bien accroché pour regarder Silenced qui n’est pas un film à mettre entre toutes les mains. En effet, si le film est aussi choquant, c’est que le cinéaste nous montre l’impensable à l’écran : le viol d’enfants.

En général, lorsqu’un film coréen s’empare du sujet de la pédophilie ou du viol, le réalisateur se contente de nous suggérer l’horreur en hors champs. Par exemple dans Broken (2014) de Lee Jeong-Ho, le père d’une adolescente se retrouve face à l’enregistrement vidéo du viol de sa fille. Durant cette scène le réalisateur filme en gros plan le visage du père qui se déchire tandis que l’on peut entendre les cris de la victime. On peut également citer une scène à la fin de Veteran (2015) de Ryoo Seung-Wan qui montre une jeune modèle à qui l’on injecte de la drogue de force lors d’une soirée organisée par un fils à papa intouchable. Si on comprend exactement le destin de cette jeune femme, les violences ne se feront pas face caméra. Dans ces deux films, les réalisateurs ont choisi de ne pas heurter le public avec des images de violences sexuelles directes, mais de les choquer en les suggérant. Dans Silenced, Hwang Dong-Hyuk fait le choix inverse et décide de confronter le spectateur à des images de viols d’enfants, à des gros plans sur des jambes qui se débattent, à des pleurs, à des corps d’adultes qui se penchent sur leurs victimes. J’ai beau savoir qu’il ne s’agit que de cinéma, j’ai beau savoir que les enfants sur l’écran sont en parfaite santé et qu’ils n’ont subi aucun sévices, j’ai dû sortir plusieurs fois de la pièce parce que je ne supportais pas les images. Pourtant je comprends parfaitement le choix du réalisateur.

Silenced n’est pas une fiction. Si le film est tiré d’un livre, le fait divers est bien réel. Au début des années 2000, un institut pour jeunes sourds a fait l’objet d’une horrible réalité. Malgré un procès, malgré des faits de pédophilie, la plupart des professeurs de l’école qui avaient fermés les yeux s’en sont sortis sans encombres. Pire, les deux adultes coupables de viols avérés n’ont reçu que des peines de moins d’un an d’emprisonnement. Hélas, ces peines ridicules en rapport aux violences sexuelles, ne sont pas vraiment rares en Corée. Il était donc extrêmement important pour le réalisateur de montrer frontalement des viols, pour que personne ne puisse dire qu’il ne savait pas, pour que la société civile s’empare du sujet. En ce sens, le titre international du film « Silenced » renvoie à la fois à la surdité des victimes, aux silences de ceux qui savaient et aux silences de la société aux travers de peines bien légères. Heureusement, le film et son immense succès ont permis de faire bouger la société et le parquet a finalement ré-ouvert l’affaire sous la pression médiatique. Si le film ne pouvait pas tout faire, il a eu au moins le mérite de marquer les consciences dans un pays où l’on conseille facilement aux victimes de viols de se taire pour ne pas jeter le déshonneur sur l’établissement, l’entreprise ou la famille.

Écrivant actuellement un livre d’entretiens avec des femmes coréennes, j’ai malheureusement recueilli les confidences de plusieurs femmes violées. Pas une n’a porté plainte. Toutes m’ont dit qu’elles craignaient que la police ne cherche à dédramatiser en pointant leur tenue courte, le lieu où elles s’étaient rendues ou le fait d’avoir bu de l’alcool. Il semble très compliqué pour les victimes de faire reconnaître qu’elles n’étaient pas consentantes et donc de gagner des procès longs et fastidieux qui de toute façon entacheront leurs réputations. J’ai même rencontré une professeur qui a dénoncé des actes de viols sur une de ses élèves de 8 ans tandis que le directeur de l’école la sommait de se taire pour ne pas jeter le trouble sur l’établissement alors même que le pédophile n’en faisait pas parti. Malgré ses demandes de soutien auprès de ses collègues, elle a dû se battre seule pour protéger la fillette déficiente mentale car personne ne voulait braver l’interdit du directeur et compromettre leurs carrières. Le violeur en a pris pour trois ou quatre années et le directeur est resté en place car le père de la victime, lui aussi déficient mental, n’a pas souhaité porter plainte pour non assistance.

J’aurais encore beaucoup de choses à dire sur ce film, entre autre sur les acteurs que j’ai trouvé formidables. Je pourrais pousser plus loin le débat pour savoir si le propos justifiait d’aller aussi loin dans l’image, discuter de l’aspect un peu trop thriller et de l'esthétique du film, mais je pense que la meilleure chose à faire est encore de le voir pour se faire une idée. Pour conclure, je dirais que j’ai beaucoup souffert en regardant Silenced, mais je pense que c’était un film important et nécessaire tant l’opinion publique a du poids en Corée. En faisant ce choix radical, Hwang Dong-Hyuk savait qu’il heurterait les spectateurs plus que de mesure et donc que le film allait faire un buzz incroyable et qu’il pourrait changer les choses.