L'actrice. Un fort sujet cinématographique qui obsède nombre de cinéastes aujourd'hui, Ari Folman étant le dernier nous ayant marqué il y a de cela tout juste un an avec le Congrès (2013) qui offrait à Robin Wright un rôle en or pour sa carrière déjà remarquable. Femme du même âge, Juliette Binoche reçoit un hommage similaire devant la caméra d'Olivier Assayas, ayant déjà exploité la psychologie du jeu de Maggie Cheung dans le médiocre Irma Vep (1996).

Un metteur en scène célébre de cinéma et de théâtre vient de rendre l'âme. Maria Enders (Juliette Binoche) et son assistante Valentine (Kristen Stewart) l'apprennent à bord d'un train avant la présentation d'une avant première de son dernier film. Maria, alors ravagée et effrayée par cette immense perte, se voit proposer un rôle d'une pièce qu'elle jouait à l'âge de vingt ans. Elle doit cette fois se fondre dans la peau du personnage aîné, son rôle de l'époque étant attribué à une jeune star hollywoodienne dissidente et montante (Chloé Grace Moretz). Une fois le pitch exposé dans une première partie, Assayas nous emmène en Suisse à Sils Maria, image de lieu utopique et reculé du monde propice à l'apprentissage du nouveau rôle de Maria. Sorte de faux huis clôt dans les paysages alpins, le film repose platement sur des dialogues à l'écriture fine mais rendue quasi écœurante au bout d'une longue heure stagnante. L'interprétation correcte des deux actrices ne rattrape que faiblement notre intérêt décroissant pour ce qui se joue sous nos yeux : Maria vieillit, de la tristesse se lit sur ses yeux lorsqu'ils se portent sur son assistante. Jalousie, remords, empathie ? Une pluralité de sentiments toujours ambiguë, mais rendue peu passionnante par la mise en scène faible et peu inspirée du cinéaste. Le passage du temps est ainsi rendu palpable par des fondus au noirs récurrents, des coupes imprévisibles et une mélodie classique reprise sans grande signification cohérente.

Le but peut ainsi paraître atteint : grand film nostalgique, excessivement bavard pour ses 120 minutes, confrontant actrice de qualité française à stars hollywoodiennes à l'esprit tout sauf naïf, plus mûr que leur âge. Des idées, une esquisse d'un nouveau Opening Night (Cassavetes, dont les influences s'affichent clairement) mais finalement rien de plus qu'un film d'auteur banal manquant de puissance dans l'utilisation de ces décors et de son discours brumeux, pouvant au mieux en résulter une interprétation personnelle au lever du rideau. Ce serpent de brume qui hante Sils Maria n'est utilisé qu'à des fins métaphoriques déjà vues et non surprenantes. Assayas ne s'attache qu'à transmettre ce regard en arrière de Maria, sa peur du futur comme son agacement refoulé pour la nouvelle génération. Se manifestant par cette présence cannibalisante d'internet, des téléphones portables et des iPad, le visage perdu de Maria demeure sans grande émotion. L'arrivée bien tardive de Jo-Ann Ellis (à croire qu'Assayas n'a pu faire tourner Grace Moretz autant qu'il le souhaitait) redonne l'illusion de la poursuite du film vers d'autres thématiques insoupçonnées. Choisissant de clore sa belle histoire prometteuse par une ellipse grossière et ridicule, l' "épilogue" de Sils Maria apparaît finalement comme le début d'un autre film à plus grand potentiel que nous aurions souhaité. La disparition de Valentine, à la fois inexplicable, mystérieuse mais évidente, est à cet instant l'un des plus beaux moments du film. Assayas fait ainsi surgir de façon stupéfiante l'aveuglement et la mélancolie de Maria, jamais aussi bien explicitée et découverte au grand air.

Montrer les coulisses ternes et fades du septième art est une idée naissante de grands films modernes. Aller chercher le beau dans le laid, la passion dans le quotidien répétitif du milieu sont les objectifs de Sils Maria. Il lui manque une certaine légèreté et élégance, moins austère que cette mise en scène sans couleurs variantes, calquée sur un scénario voguant à l'ennui dans plusieurs séquences pourtant bien écrites. Venant d'un aussi grand cinéaste confirmé, les questions dans lesquelles nous laissent Sils Maria sont d'autant plus décevantes, alors qu'elles devraient susciter une vision complexe de cette oeuvre simple, donnant des nouvelles du monde du spectacle par un chemin voulu subtil peinant à émouvoir suffisamment.
Forrest
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le 29 août 2014

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