Après Mother, quête d'une mère pour faire valoir l'innocence de son fils simplet, à la mise en scène virtuose confirmant, film après film, l'incroyable tempérament de son auteur, Bong Joon-Ho revient avec un projet vieux de plusieurs années en collaboration avec Park Chan-Wook.
La rencontre de deux grands metteurs en scène pour une adaptation allant à 200 à l'heure. Formidable levée de la caste prolétaire contre l'aristocratie à première vue dégoûtante, menée par un Green Lantern relégué ici au statut de badass barbu/bonnet et son armée de petites gens qu'on "laisse dormir dans la merde", Snowpiercer relève de l'attraction formelle éblouissante et du film à étapes, coffre à trésors où Bong Joon-Ho se plairait à ouvrir les nombreux tiroirs pour n'en sortir que le meilleur, le plus grinçant et parfois le plus drôle (le gag de la "Bonne année", génial et inattendu).
On connaissait le cinéaste concerné depuis Memories of Murder, où derrière une enquête qui tourne au vinaigre jusqu'aux ravages causés par un monstre, subsistaient la pollution de l'Homme et ses actes non sans conséquences. Ici, le cinéaste fait évoluer son style, tout en travellings latéraux, dessine les contours de toute la complexité de l'âme humaine en choisissant de manipuler le spectateur à travers tous les artifices et archétypes du blockbuster. L'issue n'en est que plus incertaine, aux multiples niveaux de lecture à peine entachés par deux monologues en fin de métrage qui plombent la dynamique d'ensemble, assourdissante.
Bong Joon-Ho reste ceci dit le cinéaste de la captation de l'instant. Un visage, celui de Ko Ah-Sung, jeune actrice révélée dans The Host et qui irradie constamment l'écran et dont l'expression est l'une des plus complexes que le cinéma coréen n'a jamais connu. Song Kang-Ho, coiffé en Oldboy avec vingt kilos de moins et adepte de la défonce, est remarquable de décalage face à la posture héroïque d'un Chris Evans inégal. Le casting rappelle les trognes farfelues du jeune cinéma de Jean-Pierre Jeunet également très orienté bande-dessinée.
Snowpiercer est l'une des propositions SF les plus émouvantes et les plus "décalées" que l'on a pu voir au cinéma. Cette façon toujours habille, souvent jubilatoire, de renouveler un répertoire grandiose de techniques de mise en scène éprouvées par son auteur. Le film fascine par sa manière de transgresser les genres tout en apposant une signature unique au cinéma. N'oublions pas que le cinéaste avait réalisé avec Mother l'une des plus impressionnantes séquences à suspense vues au cinéma avec une simple bouteille d'eau. Qui peut se targuer, aujourd'hui, d'en faire autant, et de proposer un blockbuster d'une intelligence rare dans son approche, avec tous les ingrédients d'un film éclaboussant l'écran de son incroyable brutalité?